L’arbre et son fruit

L’arbre au solstice est resplendissant, son fruit mûrit ou déjà il s’est donné, son feuillage vert ombrage les passants et ceux qui se reposent. Souvent, il embaume. C’est une belle saison que la Saint Jean pour nous intéresser à lui. L’arbre est très différent de nous : il n’a pas du tout la même morphologie que nous, il n’a pas de visage, sauf dans les contes et les cauchemars, il ne se promène pas et il ne dit rien à notre façon, vu qu’il n’a pas de bouche. Et pourtant, il y a peu d’éléments de la nature qui parlent autant à l’homme. Comme le dit Baudelaire dans Correspondances :
                  “La Nature est un temple où de vivants piliers
                    Laissent parfois sortir de confuses paroles ;
                    L’homme y passe à travers des forêts de symboles
                    Qui l’observent avec des regards familiers.”
Que nous indique donc la verticalité de l’arbre ? Que nous disent ses branches et son tronc stable ? ses racines plus ou moins profondes, quels secrets nous confient-ils? Ses fruits, qu’ils fondent sur la langue ou craquent sous la dent, qu’est-ce qu’ils nous enseignent ? Arbres fruitiers, arbres symboliques, arbres généalogiques, arbres de vie, arbres de nos corps… Allons donc nous promener ensemble dans la forêt.

Le dictionnaire dit que le mot fruit désigne d’abord le fruit de l’arbre bien sûr, et puis partant de là, la récolte, le résultat avantageux produit par un travail. Autant dire qu’il n’y a pas de fruit sans quelque chose avant. Alors quand notre œil regarde le fruit, que sait-il d’avant? Si l’œil se promène dans l’espace il remarque le rameau, la branche, la plus grosse branche, le tronc et la terre. Et sous la terre? Un réseau de racines dont il n’aperçoit qu’une infime partie et qui parle de la graine qu’elle furent : cette force mystérieuse et enfouie est l’origine du fruit dans l’espace. Et dans le temps, voyons. Le fruit apparaît quand la fleur est fanée, après le bourgeon, après la pousse des branches et du tronc, après la graine. L’espace et le temps nous ramènent tous les deux à la graine. Alors commençons par le début et prenons-en de la graine.

La graine est souterraine, d’abord. Nous savons bien que la graine ne germera pas dans son sachet ni le pépin de pomme dans notre assiette : il faut des conditions adéquates et ça m’a fait sourire de remarquer que l’homme et la graine suivent des démarches exactement inverses : l’homme commence par mourir, puis il est enterré. Au contraire, la graine commence par être enterrée, puis elle doit mourir à ce qu’elle était sinon son étui deviendrait son caveau. Il y a donc deux conditions pour que poussent les graines: il faut les enfouir, et elles doivent perdre leur statut de graines.

Dans nos correspondances avec l’arbre, où est en nous la terre pour enfouir la graine ? La première terre dont nous disposions, c’est notre corps. Le crâne ressemble plutôt à un rocher qu’à de la terre et nous ne sommes pas certains de ne pas avoir un cœur de pierre… Descendons plus bas, jusqu’aux ventre, aux entrailles, centre géographique du corps, lieu souple, humide et chaud, là même où l’arbrisseau de l’être humain poussera en lui. Voilà la terre. C’est le ventre le nid d’où germera la graine de notre fruit, si notre cœur lui donne de bonnes conditions climatiques et si notre esprit s’y intéresse. Pour que notre arbre intérieur pousse, il faut retrouver notre ventre, le laisser respirer, l’arroser d’attention et d’amour, rester dedans. Ce temps se nomme calme, tranquillité, respiration, méditation. 

Deuxièmement, le grain doit mourir et perdre son statut de grain. En fait cette mort mérite plus de cris de joie que de lamentations car son synonyme est le mot germination. J’ai bien observé ce qui se passe pour un haricot, germer n’a pas l’air de lui faire mal : la graine s’ouvre, et ça pousse vers le bas d’abord et vers le haut, elle devient méconnaissable, remplacée par de petites racines et un début de tige.

A voir comme ça, les arbres on dirait des cuillers plantées par terre qui n’ont fait que de s’élever, mais en fait, c’est bien des profondeurs que monte la sève qui va circuler le long du tronc, l’élever, le fortifier. Et plus l’arbre s’élève, plus il s’enracine. Et aussitôt que les branches se déploient et quittent le tronc, l’arbre grandit dans tous les sens au-dessus et en-dessous aussi. C’est pourquoi la médecine chinoise donne comme mouvement à l’arbre l’expansion de tous côtés. Ouvrons la graine. Y voyons-nous un arbre en miniature? Non. Ce qui fait la graine, c’est l’information de l’arbre et ce qui fera l’arbre si on en prend soin, c’est l’énergie de vie de la graine. En d’autres termes, il faut préparer la terre et continuer à s’occuper du sol le temps nécessaire, tout en laissant faire la graine et la pousse. Gardons-nous d’intervenir là : l’intelligence de l’arbre est digne de confiance, il sait lui-même ce qu’il a à faire et comment grandir pour être conforme à sa nature optimale. Dans la nature, on trouve des quantités d’espèces d’arbre différentes, des graines extrêmement diverses. Et nous, quelles sont nos graines ?

Les Taoïstes disent que nous naissons avec des graines héréditaires de toutes sortes dans le jardin de notre patrimoine génétique. Certaines graines sont issues de mémoires ancestrales indésirables et il vaut mieux de pas en voir s’épanouir le programme sous peine de vivre une vie dont personne ne voudrait. D’autres graines sont excellentes et pour peu qu’on s’en occupe, elles produiront des fruits délicieux.

D’accord, nous ne sommes pour rien dans l’entretien initial, c’était le travail de nos parents, et ils s’en sont plus ou moins bien chargés, puis un jour nous avons dû décider de prendre nous-mêmes les choses en main. Seulement, la vérité c’est que pour la plupart d’entre nous, nous n’y connaissons plus ou moins rien, d’ailleurs rien ne ressemble plus à une graine qu’une autre graine ! Dans le jardin de ma maison, j’assassine moi-même en toute quiétude et toute ignorance d’excellentes plantes, d’excellents plants, de jolis petits arbres venus s’installer tout seuls et des fleurs que moi-même pourtant j’ai plantées l’année d’avant. Je les ai laissé s’étouffer sous les mauvaises herbes ou des troncs qui poussent à grande vitesse, je ne les ai même pas reconnues. Alors? Engager des jardiniers, voilà ! Seulement quand des jardiniers de fortune viennent travailler, avec enthousiasme ils ratiboisent les hortensias au milieu des orties et débarrassent parfaitement le fond de la plate-bande de tous les framboisiers. Par contre, les pousses d’arbres sauvages qui squattent aux mauvais endroits demeurent parce que le jardinier sans connaissance ne sait pas si c’est un mauvais arbre et de toutes façons il n’est pas outillé pour dessoucher.

Comment faire? Nous mettre en quête de bons jardiniers et nous réjouir si la vie en place sur notre chemin. Et puis, pour nous aider même si nous nous y mettons un peu tard, regarder les fruits des arbres qui proclament de quelle graine ils sont issus. Comme dit Mathieu : “Cueille-t-on des raisins sur un buisson d’épines, ou des figues sur un chardon ? Ainsi tout bon arbre produit de bons fruits, mais l´arbre malade produit de mauvais fruits. Un bon arbre ne peut pas porter de mauvais fruits, ni un arbre malade porter de bons fruits.” Voilà, c’est clair. Autant la graine est inconnue dans l’obscurité de la terre, autant les fruits brillent au grand jour. Ils sont l’aboutissement de l’arbre, un condensé de leur information, ils portent ce que l’arbre a de plus précieux. Pourquoi ? Parce que bien protégée par le fruit, chaque graine est un programme pour un arbre nouveau.

Et c’est très gai la façon dont l’arbre s’y prend pour qu’elle soit mise en terre. Il produit des fruits jubilant de couleur au soleil, suaves et savoureux, uniques selon leur espèce, il les donne au promeneur comme à l’oiseau pour le plaisir de vivre. Chacun de nos fruits à nous aussi porte des graines, graines d’avenir pour notre vie, graines pour nos descendants, graines volant au vent si bien que des jardins inconnus peuvent s’en trouver modifiés. Donc, il était difficile de repérer nos graines, mais nos fruits sont visibles, quels sont-ils ?
Si les gens se sentent mieux quand nous arrivons que quand sommes absents, c’est que nos fruits sont bons. Si notre compassion va plus vite que notre parole c’est que nous avons bien arraché les ronces et retourné la terre pour dégager notre cœur. Si aucun fruit comestible ne pourrit autour du tronc parce que nous les avons partagés sans thésauriser, c’est que nous avons su respecter la générosité de la nature qui se donne pour donner. Je ne vous ferai pas le tableau contraire, ce serait bien triste! Posons-nous quand même la question : qui peut goûter aux fruits de notre existence ? des enfants ? D’autres êtres humains de tout âge ? des animaux ? des plantes ? A qui avons nous proposé une ombre bienfaisante et à qui au contraire avons-nous fait de l’ombre ? Acceptons-nous les autres comme éléments de notre vie, savons-nous leur faire confiance comme l’arbre confie ses fruits ? Sommes-nous encore des arbres vivants ou presque secs ? Avec un peu d’attention et de sincérité, il est possible de répondre à plusieurs de ces questions, d’autant que pour affiner cette introspection, il existe aujourd’hui de nombreux outils simples. Par exemple, on trouve facilement sur la toile des arbres de vie psychologiques à visée thérapeutique. Je m’en suis inspirée pour vous en proposer un qui soit davantage relié aux taoïstes.

Vous y êtes? Il va s’agir de recenser tous nos atouts, puisque c’est un arbre de vie. Un jour de grisaille, nous pourrons dessiner un arbre de mort pour bien voir tout ce qui nous plombe, et la faute à qui… Il faut une feuille de papier et un crayon pour dessiner un arbre, qui nous représentera mais là maintenant, imaginons-le seulement. Ça y est? Voyons ça. Si nous n’avons pas mis de racines, vite! Corrigeons car les racines représentent les ressources qui nous sont données : nos qualités héréditaires, les soutiens des membres de notre famille nés avant nous, les mémoires ancestrales positives, notre capital émotionnel et financier. C’est bon pour nous-mêmes et pour nos lignées de reconnaître la nourriture que nous tirons des ancêtres, et dans quoi l’on puise. Tout n’est pas parfait? Eh bien ce n’est pas grave, les racines des vrais arbres sous la terre ne sont pas du tout bien disposées comme les branches en haut, c’est un vrai bazar d’enchevêtrement et ça nourrit quand même. Ne soyons pas chiches

avec les racines, recensons le maximum des qualités familiales, même celles qui nous manquent à nous puisqu’elles sont quand même dans notre patrimoine. Elles sont peut-être une incitation à nous améliorer: pourquoi ne pas décider de les reconnaître et faire fructifier chez nous?

Dans le tronc, indiquons comment circule cette énergie ancestrale en nous c’est à dire comment nous exprimons à notre tour leurs qualités ou les avantages concrets qu’ils nous ont légués, je veux dire aussi bien du courage qu’une maison. C’est le moment de repérer tout ce que nous avons de bien et ce que nous faisons de bien – sans forfanterie puisque nous sommes seulement l’expression de nos ancêtres. Par exemple notre père était un bon bricoleur et nous, nous avons monté une entreprise en bâtiment qui marche du feu de Dieu. Maman était toujours de bonne humeur et nous aussi nous changeons l’atmosphère générale dans notre lieu de travail. Ce peut être très varié, comme la gestion d’un bien, la pratique d’un sport, la maîtrise émotionnelle ou notre vie en société. Rien n’est à omettre. C’est une bonne chose de prendre conscience de nos plus beaux engagements en connexion avec les ancêtres: pour nous car nous sommes reliés, pour eux car ils sont reconnus. Cela facilite l’amour.

Quand on passe aux branches et aux rameaux, on cherche comment ces qualités s’expriment dans les détails. Par exemple, en plus d’être une infirmière sourire, j’ai un petit carnet de blagues que mes copains réclament. Si nous nous apercevons que nous portons peu de rameaux, ou que notre tronc est chétif par rapport aux qualités que nous avons reconnues à nos ancêtres, réjouissons-nous, il y a du travail ! Avons-nous été créatifs? Avons-nous inventé de nouvelles qualités ? C’est possible en effet de développer en nous des qualités seulement en germe chez nos ancêtres, j’en prends pour exemple le développement intellectuel: nos aïeux incultes ont mené leurs enfants à l’école primaire, ceux-ci sont devenus instituteurs puis agrégés, puis ministres de la république.

Bref. Passons aux feuilles. Comme elles absorbent la lumière, elles nous posent la question de savoir comment nous recevons ce que donne la vie. Comment nous nourrissons nos racines par notre comportement personnel, en famille, dans la société. Ce que la vie nous donne à vivre qu’en faisons-nous? Par exemple si quelqu’un nous fait un cadeau, sommes-nous du genre à nous écrier que nous l’avons déjà, ou voyons-nous d’abord l’intention amicale ? Avons-nous développé ou non la gratitude et la positivité? Et puis regardons les fruits, quintessence de l’arbre. En avons-nous dessiné? Non? Ouhllla ! Les fruits sont les projets qui verront le jour dans la continuité de ce que nous avons recensé. Et dedans sont les graines que représentent nos enfants, nos descendants et c’est ainsi que notre arbre s’inscrit dans un arbre généalogique : nos graines seront leurs racines et leur patrimoine. Grande est donc notre responsabilité. Selon que nous aurons fait fructifier ou non notre patrimoine, leurs arbres seront plus ou moins beaux.

Enfin, dessinons notre arbre de vie idéal. Nous comme nous aimerions être dans une vie telle que nous la voudrions sans censurer nos rêves, sans triche non plus. Confrontons, tirons-en les leçons et maintenant que nous savons quoi faire prenons soin de notre arbre. Intervenons.

Dans quel état est la terre de notre arbre? En d’autres termes, nous occupons-nous de nos conditions de vie ? Notre tronc est-il encombré de branches mortes? Il faut élaguer les vieux moignons parce que sous leur écorce se cachent des vers qui attaqueront peut-être aussi ce qui est sain. Voici une scie affutée, une hache tranchante. Ouille ! Cela ne donne pas très envie ! Mais n’ayons pas peur, enlever les branches mortes ne cause aucune douleur, c’est tout juste un peu désagréable. Quelles sont nos branches mortes? C’est partout où la sève ne passe plus, partout où c’est devenu mécanique, sans lien avec notre présent. Un travail, des relations, des habitudes devenues inadéquates, des armoires remplies de vieux machins qui ne nous servent plus à rien. Tranchons. C’est important car rien de neuf ne peut sortir de ce qui est mort, et la poule pourrait bien couver des éternités qu’il ne sortirait rien de l’œuf que de la pourriture…

Après les moignons, les branches vivantes en trop grand nombre. Si trop de branchages mangent la force du fruit, il faut tailler aussi, et ça c’est plus douloureux. La taille blesse, mais l’écorce se refait et l’arbre retrouve de beaux fruits. Quelles branches surnuméraires nous étouffent-elles ? L’hyperactivité par exemple, et les addictions au stress, aux écrans, au sexe, aux drogues diverses qui occupent notre vie et pompent notre sève sans donner de fruit. Savoir quoi et où élaguer, tailler, traiter, prendre conscience de ce qui empêche notre arbre de produire, c’est déjà tout un boulot (sans jeu de mot) avant même de s’y mettre. Du coup après, on attend des résultats rapides. Hélas, on s’aperçoit que c’est bien difficile. Il y a beaucoup de risques que nos paroles et nos pensées s’obstinent à nous mener par le bout du nez, que nos vieilles émotions dominantes restent dominantes même si elles ne nous font pas de bien. Si nous sommes des arbres à épines, nous demeurons plutôt épineux et si nos plantes sont urticantes, les autres restent bien avisés de se tenir à distance. Comment ça se fait? Ça me rappelle une vieille chanson de Hugues Aufray: “Je ne suis plus maître chez moi, c’est mon chien qui fait la loi!”

Un peu de lucidité : quand nous avons suivi de mauvaises habitudes pendant vingt ans, nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu’en deux heures elles se volatilisent définitivement. Le temps de l’arbre est lent, il a de la patience et de la persévérance. Il nous en faudra aussi parce que sinon, après un peu d’attention on oubliera de faire attention. Aussitôt nos automatismes reprendront le dessus parce que c’est mieux que l’hébétude. Le propre d’un automatisme, c’est d’avoir été acquis dans le passé et de s’appliquer automatiquement au présent, c’est à dire sans nous demander le moindre effort d’attention. C’est pratique, c’est même fait pour ça, mais quand nous laissons nos automatismes nous gouverner hors de leur champ d’utilité, nous vivons machinalement, aujourd’hui comme hier, avant-hier et encore avant, notre corps nous servant des réponses anciennes aux situations nouvelles qui se présentent. Les automatismes ont envahi notre terrain. L’arbre n’est jamais automatique me semble-t-il, il nous rappelle de vivre au présent. Cependant pour revenir au présent, il faut de l’attention. Alors si parmi nos automatismes, nous avons installé celui de l’inattention, nous savons par où commencer à jardiner !

Lucidité, patience, attention. Soit, et après? S’il faut soixante ans pour contrebalancer une mauvaise habitude dont on ne prend conscience qu’à soixante ans, s’il faut batailler force contre force pendant soixante nouvelles années, est-ce vraiment la peine de s’y mettre? En outre nous ne sommes jamais les premiers de notre lignée à nous montrer radins ou dépressifs… en rajoutant l’atavisme, la tâche devient vraiment trop rude ! La tentation est grande de conclure que nous avons un destin, déterminé depuis le programme de la graine et que nous sommes tristes parce que tel est notre caractère, notre arbre. Comme le disait Prévert, “Je suis comme je suis, Je suis faite comme ça […]Et n’y puis rien changer.” Zola a montré ce déterminisme aggravé par les conditions sociales et dans l’Assommoir, on voit que Gervaise n’avait aucune chance de vieillir heureuse.

La vision naturaliste de Zola est la vision d’un monde où la réalité, c’était la matière qu’on voyait, telle qu’elle a pu s’exprimer jusqu’à la découverte de la mécanique quantique. Du temps de Newton, on pouvait prévoir la trajectoire d’une pomme et la triste fin d’une bonne renvoyée par ses patrons, mais aujourd’hui, on ne sait pas ce que fera l’atome qui peut jouer à être une onde dès qu’on aura le dos tourné. On sait que le corps d’un atome ne forme que 0,00000001 % de la place qu’il prend et que le reste c’est du vide. En battant en brèche le déterminisme jusque là inexpugnable de la matière la science nous indique un chemin de liberté. Il est simple: rencontrer par delà ce qui se voit en nous de concret et de limité notre puissance d’énergie sans forme, nous en nourrir, nous en ré-informer au sens informatique du terme. Puisqu’un proton a une double nature dont l’une lui donne la liberté, pourquoi pas nous qui sommes faits de protons ? Certes, mais comment rencontrer ce vide puisque nous n’en avons pas conscience? C’est déjà difficile de chercher une aiguille dans une botte de foin, mais un programme d’aiguille, une absence d’aiguille… Au moins, le jeu en vaut-il la chandelle? Qu’en dis-tu arbre?

L’arbre dit: regarde dans ton arbre les fruits de cette intelligence que tu ne contrôles pas mais qui agis en toi et tu pourras choisir. Il n’y a pas à chercher longtemps. Il suffit de nous regarder dans la glace, ce qu’il y a de bon dans le corps, c’est le corps ! Nous ne savons pas comment nous avons été tissés par milliards de cellules dans le ventre de notre mère, ni par quel mystère ces cellules coopèrent pour que nous restions en vie. Les battements du cœur, la respiration, la digestion, le sommeil, l’immunité, bref tout ce qui nous maintient sur la terre échappe à notre volonté consciente. Nous, nous n’hésitons pas à nous endormir plusieurs heures par jour, cette intelligence est fidèle et toujours en action 24 heures sur 24. Nous, ça ne nous dérange pas de nous malmener et même de nous suicider, elle, elle nous répare. Elle cicatrise la peau, renouvelle nos cellules, invente un plan B pour que les borgnes voient les reliefs, installe un bison futé si une veine coronarienne se bouche. Oui, elle a beaucoup plus d’amour que nous pour la vie cette intelligence, elle est bien plus fiable et bien plus intelligente, bien plus fidèle aussi, ses fruits sont de bons fruits.

Il suffirait alors d’arriver à nous raccorder avec elle et à lui passer commande pour que notre arbre donne de nouveaux fruits, mieux que nous le voulons et plus rapidement que par une lutte incessante habitude contre habitude, matière contre matière. Alors si nous avons décidé que le jeu en vaut la chandelle, que répond l’arbre sur ce sujet?

Il dit que le petit gland devient un chêne immense et que pour grandir il n’a rien fait que de laisser faire l’inconnu et la vie qui circulait en lui. Il dit que de même, nous, nous sommes le lieu de l’éclosion d’un niveau d’être dont nous ne pouvons avoir d’idée tellement il est différent de notre état actuel, et pourtant il est déjà en nous, sommeillant, programme non activé mais parfait. Pour le rencontrer, il faudrait nous aussi cesser d’être des monomaniaques de la répétition du connu et autoriser l’activation de ce programme. Laisser faire mais comment? Il y a des tas de gens qui laissent faire et jamais ils ne découvrent autre chose que la graine, une graine bien flétrie le jour de leur mort. Quand on l’enterre, c’est trop tard ! Il faudrait donc quand même une méthode, et l’arbre nous la donne.

Ce sont les feuilles de l’arbre qui regardent le ciel, mieux encore, qui le respirent. Leur chlorophylle absorbe la lumière qui se transformera en matière organique comme le sucre et des oligoéléments. C’est pour ça que l’arbre n’est pas comme nous : il n’a pas besoin de se mettre à table, il a la photosynthèse. Pour respirer le maximum de lumière, les feuilles sont plates. Les taoïstes disent que tout ce qui est plat en nous, le sommet de la tête, les plantes des pieds, les paumes des mains, les apophyses de nos os, ces petits plateaux que l’on sent principalement dans notre dos derrière les vertèbres sont comme nos feuilles le lieu des échanges. Échanges avec le ciel quand la surface plane est dirigée vers le ciel, avec la terre quand c’est vers le bas. Ils disent que le mouvement interne de l’énergie non contrariée est la verticalité, comme un arbre fait ses efforts pour la retrouver quand il en a été dérangé.

En y prêtant attention, en respirant dans le haut de la tête, nous pouvons donc nous aussi respirer la lumière, nous avons les moyens d’échanger toutes sortes d’informations vitales avec l’univers. De nos jours, des gens comme Yasmuheen affirment vivre uniquement de lumière depuis plusieurs années sans avoir perdu un gramme, mais ce n’est pas nouveau. J’avais lu dans un recueil de témoignages la déconfiture d’un jeune homme venu partager un moment la retraite d’un ermite. Celui-ci lui avait dit gentiment: “En l’honneur de votre présence, je vais nous préparer un repas”. Et il lui avait proposé trois figues et deux olives. Nous ne sommes pas loin non plus de la photosynthèse ! Mantak Chia donne de nombreux stages où l’on apprend à ne presque pas se nourrir.

Aspirer le ciel et les rayons du soleil, c’est se relier à l’espace, à la vacuité diraient les bouddhistes, vide dans lequel prennent place toutes les formes. Le sans-forme hors de nous existe aussi à l’intérieur puisque nos atomes sont constitués de vide à 0,9999999999%. Autrement dit, il nous faut nous relier au vide et en aspirer l’énergie comme un arbre aspire la sève du ciel. Pour rendre les choses encore plus faciles à comprendre, les Upanishad représentent l’univers manifesté comme un arbre renversé, plongeant ses racines dans le vide du ciel et dont les fruits sont la terre et les étoiles. L’Inde antique des Védas le dit en toutes lettres : “C’est vers le bas que se dirigent les branches, c’est en haut que se trouvent ses racines.” L’énergie vient d’en haut, pour nous comme pour l’univers. Notons que ce symbole antique est aussi celui de l’arbre de vie des Hébreux aussi nommé arbre des sephiroth: en haut le vide, en bas la matière manifestée.

L’arbre comme axe du monde est donc une sorte d’ascenseur-descenseur cosmique, vecteur de la manifestation de cette intelligence qui nous dépasse. Dans notre arbre corporel aussi cette énergie qui impulse les immensités de l’univers peut circuler librement si on lui en donne l’occasion avec autant d’énergie que nous pourrons la supporter.

Les fruits au sens large du mot d’un arbre dans la nature sont une bénédiction de vie. J’ai lu qu’il y avait 700 vers et 60 000 araignées et autres mille pattes dans un mètre cube de terre autour d’un simple chêne. Que dans une chênaie, il y avait un taux d’occupation au sol d’un oiseau par mètre carré! Alors, un arbre de vie, quelle merveille ! Quant à la longévité de l’arbre de vie, un simple arbre terrestre nous en donne une idée. Pour rester dans les forêts de France, il y a un if de 1600 ans dans le cimetière d’Estry dans le Calvados mais d’autres arbres sont bien plus vieux. L’arbre de vie donne l’immortalité.

Se souvenir de la verticalité, aller vers le ciel, aspirer la lumière sans quitter notre enracinement nous habilitera à goûter les fruits de l’arbre de vie, à devenir immortels Il ne s’agira plus de lutter matière contre matière, force contre force, armée contre armée, mais de laisser faire en nous l’œuvre universelle de la vie. Notre arbre deviendra à son tour un arbre de vie aux fruits divins. Les graines de nos fruits s’en iront voler dans les jardins voisins et sans savoir pourquoi, le monde changera. Nos descendants naîtront avec la lumière.

Les mythologies qui attestent que ces fruits existent nous donnent aussi quelques conseils et indications. Je ne m’arrêterai que sur trois exemples : les pommes d’or du jardin des Hespérides, les pêches chinoises de l’immortalité et la croix du Christ. Les pommes d’or poussaient dans le divin jardin d’Héra-Junon, fruit d’un arbre magique offert par Gaia la terre à l’occasion de son mariage avec Zeus-Jupiter. On avait chargé un énorme dragon à cent têtes et de jolies nymphes, les Hespérides, d’interdire aux hommes ce pommier spécial. Nous savons tout ça parce que le roi de Corynthe Eurysthée avait demandé à Hercule de lui en rapporter quelques uns en guise de onzième exploit. Hercule se mit en quête et il dut traverser moult aventures ne serait-ce que pour avoir l’adresse. Il libéra en cours de route Prométhée enchaîné sur son rocher et finit par rencontrer Atlas qui portait le ciel. Hercule avait beau être demi-dieu, il ne pouvait aller lui-même dans le jardin des Hespérides. Ce fut donc Atlas le papa des nymphes gardiennes, qui rapporta trois fruits moyennant quelques tractations avec Héraclès au sujet du portage de la voûte céleste. Ensuite, Hercule livra les pommes à Eurysthée. Celui-ci ne put les garder car Athéna les reprit la nuit même après avoir autorisé Hercule à en goûter un. Je ne retiendrai qu’un symbole dans ce mythe : il est possible de se faire aider, comme Hercule avec Atlas, mais on ne peut pas faire entièrement faire le travail par les autres, l’immortalité ne se livre pas comme une pizza. Si nous trouvons un jardinier pour notre jardin, il pourra certes bêcher autour de notre tronc, élaguer, arroser, ôter l’ombre trop forte autour de nous, même, mais il ne se substituera pas à notre arbre, ce sera à nous de le laisser produire son fruit.

Quittons la Grèce. Chez les Chinois, l’arbre de vie ne donne de fruits que tous les trois mille ans. Nous avons peu de chances d’en trouver car il faut tomber au bon moment et serions-nous à l’heure, le jardin est secret, et bien gardé. Seul un singe paraît-il arriva à en dérober, et il devint immortel au grand dam des autres immortels. D’ailleurs, d’après ce que j’ai lu, le fruit est tellement goûteux qu’on n’a plus besoin d’immortalité car sa saveur ramène si puissamment à l’instant présent que toute notion de temps disparait. Telle est sans doute la leçon de ce pêcher: c’est le présent la porte de l’immortalité, porte étroite et infinie dont parle aussi Jésus.

La croix aussi est arbre de vie en écho à l’arbre de vie du jardin secret d’Eden présenté dans la Genèse. Son fruit pendu c’est le Christ. Le tronc vertical représente l’axe de la transcendance et la branche horizontale nous parle de l’espace et du temps. Le cœur du Christ, c’est à dire son amour, est à la jonction des deux, ses bras écartés embrassent la souffrance du monde tandis que son corps reste orienté vers le ciel, le sans-forme, la source de la vie. Le Christ emporte dans sa mort tout ce qui est facteur de mort dans la vie et qu’on appelle le péché. Si le grain ne meurt, il ne donnera pas de fruit, mais s’il meurt il en donnera 30 pour un, disait-il. C’est le sens de la résurrection après la crucifixion. La leçon ici c’est le dépouillement dans un amour sans condition, comme l’arbre chaque automne se dépouille de ses feuilles sans détester l’hiver. Mais qu’est-ce donc qui doit mourir en nous ?

Nous sommes mortels, pour devenir immortels nous devons logiquement nous dépouiller de l’homme mortel, c’est à dire de la tyrannie de la matière. Car ce qui apparaît disparait et même l’arbre un jour meurt, nous aussi. Le problème, c’est que nous nous y sommes identifiés, nous croyons que ce 0,0000000001 %, c’est nous. Si nous mourons dans cette conviction, nous n’aurons pas goûté de l’arbre de vie, nous pourrirons entièrement dans la tombe. Nous participerons à d’autres formes d’existence, certes, mais connaîtrons-nous ce qui fait les 0,999999 % de nous ? Or goûter signifie apprécier consciemment, déguster. Si nous accédons de notre vivant à la conscience de ce vide plein qui constitue l’univers, cela donnera un goût nouveau à tout ce que nous croyions connaître, un pouvoir nouveau à notre esprit. Aujourd’hui donc nous nous identifions à notre corps, et après nous pourrons continuer, sauf que nous nous identifierons à 0,000000001 %. C’est peu. Nous serons libres. Nous saurons instantanément que nous sommes d’abord et essentiellement ce qui n’a pas de forme comme ce qui est dans la forme : le vide ne se découpe pas en tranches puisqu’il est impossible de couper il n’y a rien où couper. Il n’y a pas de frontière de temps non plus dans la vacuité puisqu’il n’y a rien qui apparaît et commence… Dès lors, où et quand cessons-nous d’être? Jamais et nulle part, nous sommes l’univers entier et sa source. Nous sommes.

Nous sommes déjà cela aujourd’hui puisque c’est notre structure d’arbre matière, la structure de nos atomes, mais nous l’avons oublié ou nous ne l’avons jamais su, en tout cas cela nous est incompréhensible. Bien sûr, il y a des êtres restés reliés consciemment à la source de la vie et du pouvoir, des ceps de vigne unis à leurs pieds de vigne et qui produisent des fruits. Ces êtres sont les sages et les saints, et la terre entière quand elle a compris qui ils étaient se précipite à leur rencontre. Par contre, quand le cep se trouve séparé de son pied, il meurt. Pas de raisin, pas de vin, pas d’ivresse non plus. C’est notre cas. Mais il reste le pied de la vigne, notre nature profonde et véritable. Il faut seulement nous greffer dessus pour produire de nouveaux fruits.

Aujourd’hui on peut rencontrer de nombreux experts en greffe. Des savoirs anciens refont surface comme les pratiques taoïstes par exemple, des sagesses lointaines se rapprochent et se mutualisent par la mondialisation et internet, youtube est rempli d’explications scientifiques au sujet de la mécanique quantique et des neurosciences. Nous savons désormais à quels jardiniers nous adresser et quel programme suivre. Et puisque c’est impossible à l’homme d’arriver de lui-même à une destination inaccessible et sans localisation (surtout quand il n’a pas assez d’essence pour le chemin de recherche), il nous reste ensuite à faire confiance à notre pied de vigne ou à la bonne graine. Lorsque on arrose une plante, on arrose la plante, on ne tire pas sur les branches pour qu’elles poussent, on ne peut pas non plus s’en désintéresser totalement sous peine de la voir mourir de soif ou étouffée sous les ronces. C’est la leçon de l’arbre et de son fruit.

Nous sommes infinis, il y a en nous une conscience prête à s’ouvrir sur sa réelle dimension. Quand? Nous ne le savons pas. Comment? Non plus ! Mais nous savons que quoi qu’on fasse, qu’on dorme ou qu’on se lève quand un arbre est planté il pousse à son rythme. Le paysan prend patience devant ses champs, il fait sa part et il attend le travail du temps, du soleil et de l’eau. Il sait que le graine amoureuse du jour un matin sera prête et que le soleil ne manquera pas de la trouver.