L’amour amoureux

De l’adolescence au grand âge, quel est souvent le plus grand désir, la plus grande joie ou le plus grand manque de nos cœurs ? L’amour, et particulièrement l’amour amoureux qui réjouit le cœur et fait trouver belle la vie. Alors comme au mois de mai, le dicton nous enjoint de faire ce qui nous plait, j’ai choisi cette date pour parler de l’amour, du besoin que nous en avons, des obstacles que malgré nous nous rencontrons à le vivre, des moyens de les surmonter, du bonheur enfin. Et pour nous promener dans ces paysages de l’amour amoureux, nous suivrons comme d’habitude les guides touristiques de l’étymologie,  de la mythologie et des enseignements des sciences humaines et traditions spirituelles.

Sur l’origine du mot amor, il règne un certain mystère. Par contre de cette racine « am », ont surgi des fleurs faciles à distinguer, comme le verbe aimer. Hélas, ça ne nous aidera pas à définir ce qu’est l’amour tellement on aime le coca et Dieu, la musique et le chocolat, la solitude ou se gratter les orteils… Peut-être aurons-nous plus de chance du côté des autres fleurs ? Voici ami, amitié, et même leurs contraires : l’in-imitié, c’est-à-dire la non amitié qui transforme l’autre en cet en-nemi, qui ne vous aime pas. Ah ! là ça donne l’indication que l’amour est une force et non une pure abstraction car un ennemi risque à tout moment d’agir pour nous nuire ou alors il n’est plus notre ennemi. Un peu plus loin dans ce jardin des mots, on rencontre plus pacifiquement mais non moins péniblement le désamour amoureux. Eh oui ! L’amour peut être une amourette et l’amoureux ira s’amouracher plus loin… Pourtant avant de se désaimer, n’était-on pas amants ? Et que vivent les amants, sinon cette attraction qui définit le mot aimant et sa famille ? L’amour serait donc une force, mais quelle force ?

La force de la vie. Nous en avons besoin pour vivre heureux, et même pour vivre tout court, comme l’ont montré des études faites dans des orphelinats rudimentaires d’Arménie où la mortalité infantile était importante. D’ailleurs, même si nos parents ne s’aimaient pas quand ils nous ont conçus, même si nous étions le fruit d’un viol, cela aurait peu d’importance, en fait. Ça a l’air d’être de la provocation mais ça n’en est pas, parce que quoi qu’il y ait eu d’événementielsperm-956482_640 entre nos procréateurs, c’est d’une explosion d’amour que nous sommes nés. Dans la chaleur du ventre maternel, il y eut une attraction d’amour tellement puissante entre le spermatozoïde et l’ovule qu’elle mena à la fusion totale. C’est de cette fusion initiale que le miracle de notre vie est venu, fusion indissoluble tant que nous respirerons.  Toute notre vie, nous serons marqués de la nostalgie de cet instant sublime, cette fusion d’amour dans laquelle l’une et l’autre partie sont mortes à elles-mêmes et devenues autres. Et selon comme nous sommes, nous chercherons l’amour dans une voie spirituelle ou l’amour dans une voie amoureuse, à moins que cassés par la vie et l’hérédité, nous ne préférions nous éteindre qu’étreindre…

Chez les Grecs, l’amour est représenté par Aphrodite, nommée Vénus par les Romains. Une tradition la dit née des testicules du géant du temps, lorsqu’il fut émasculé par son fils Zeus-Jupiter qu’il avait d’ailleurs pensé avoir mangé tout cru à sa naissance (un bon paquet déjà pour les premières mémoires cellulaires de Vénus, non ?). Or, la dernière semence de Chronos tomba dans la mer et de cette fusion naquit Vénus dans sa perfection. Elle était d’une beauté à tourner la tête et court-circuiter les cerveaux.

Nous intéresser aux amours de Vénus nous renseignera sûrement sur l’amour, puisqu’elle est la déesse de l’amour. Disons-le tout de suite, elle ne fut pas très heureuse dans ce domaine, même si elle fut très aimée, enfin aimée… nous verrons si le terme est bien adapté ! Par exemple, voici son histoire de couple officiel avec Vulcain. Vulcain était boiteux et complexé, ayant été rejeté par sa mère, mais rejeté au sens propre. Comme il était le seul fils légitime du roi et de la reine de l’Olympe, Jupiter et Junon, tout le quartier était venu assister à sa naissance. Las ! L’enfant vint au monde si laid, si laid que sa mère en eut honte et colère et qu’elle le bazarda promptement par la fenêtre. Il en garda une entorse divine et s’en alla occuper le royaume du feu de la terre dont personne ne voulait là-haut.  C’est alors que dans ses fourneaux, il se montra le magicien le plus merveilleux, capable de créer toute forme à partir des métaux et du feu terrestre. Tout le monde en parlait partout. Un jour, la curiosité de sa mère fut plus forte que sa rancune et elle l’invita à monter une expo au séjour olympien. Il arriva. Et que vit-il ? La beauté, la grâce et l’amour en une seule Vénus. Lui, le maître du feu, il s’enflamma ; lui la laideur même, il voulut la beauté pour femme. Tout le monde se récria, on lui prédit un sort peu enviable. Rien n’y fit. Il finit par emporter l’accord de sa mère grâce à une histoire de fesses : il lui offrit un siège magnifique pourvu d’un vice caché : il collait au derrière. La démarche de Junon ainsi troussée était d’un tel ridicule qu’elle céda Vénus à son fils contre la rupture du sortilège. L’histoire ne dit pas qu’on demandât son avis à Vénus. Apparemment, de tout temps la femme fût-elle déesse, a peu été consultée dans l’établissement des mariages.mars-et-venus

Or Vénus n’aimait pas Vulcain. Comment la grâce pourrait-elle tomber amoureuse de la laideur ? On l’avait mariée ? En tout cas elle mettrait les pieds en bas le moins souvent possible, c’était niet une fois pour toutes. Les époux vécurent donc peu ensemble, si bien que… A votre avis, que se passa-t-il ? Il se passa qu’elle se prit de passion pour Mars. Ah ! Mars…  farouchement beau, à l’énergie bouillonnante. Certes, des mauvaises langues le disaient peu intelligent et belliqueux, et d’ailleurs il était aussi bien le dieu des semences que le dieu de la guerre, dieu d’énergie brute de la vie comme de la mort. Peut-être était-ce cela qui charmait Vénus ? En tout cas, elle aima son beau camionneur avec tel emportement qu’ils en perdirent bientôt toute prudence. Les potins allaient bon train au point que leur écho en parvint jusqu’aux forges de Vulcain. Fou de douleur et de rage, le cocu conçut un filet d’airain, traqua le flag, et au moment fatidique, il jeta le filet sur les coupables que toute l’assemblée des dieux vint longuement voyeurer.

Ainsi finirent les amours connues de Mars et de Vénus car le mythe ne dit pas que leur passion survécût à cette humiliation. Mais ils eurent quand même un enfant  tous les deux: Éros-Cupidon. Ce petit dieu est fils de l’amour et de la guerre, à jamais bébé facétieux, enfant gâté désœuvré qui occupe son temps à décocher des flèches enflammées de désir orgasmique à d’innocentes victimes.  Ô cupide Cupidon, tu déclenches une avide cupidité de l’autre comme d’un « objet «  de désir, dans un mouvement de con-cupis-cence érotique. Que comprendre de ce nom que les Romains te donnèrent ?  Que le désir charnel peut fort bien ne pas s’accompagner d’amour et que cette force qui donne la vie quand elle accepte la métamorphose comme nous l’avons vu au niveau de l’ovule et du spermatozoïde, cette force est étrangère au désir brut. Cupidon, tu nous parles d’une pulsion de l’égo qui réduit l’autre à un objet à usage personnel.  C’est pourquoi souvent tu compagnonnes avec la mort : Cupidon et la Mort, Éros et Thanatos, puissance de vie, puissance de mort, attraction des corps comme objets. Car un objet, par définition, ça se prend et ça se jette… État enfantin de l’amour semble-t-il, vu l’âge de Cupidon qui jamais ne grandit.

Ne confondons pas Cupidon avec le petit dieu Amour qu’on voit souvent aussi dans les sculptures. L’histoire d’Amour se rattache à une autre tradition autour de la naissance de Vénus, cette fois fille de Zeus. On raconte qu’il y eut à cette occasion grande fiesta dans l’Olympe. Parmi les invités, le Dieu de l’Abondance abusa de nectar au point d’avoir besoin d’une petite sieste. Mais il ne s’aperçut pas qu’il avait été suivi dans le jardin par Pénurie, déesse du manque et de la pauvreté. Bien sûr, Pénurie  était éperdument amoureuse de tout ce qu’elle n’avait pas, et voulut un enfant d’Abondance. Elle mit à profit l’état semi-comateux du dieu, et naquit alors Amour, qu’on attacha à Vénus car il fut conçu le jour de sa naissance.

L’ambivalence de l’amour est encore soulignée ici, mais elle n’est plus de l’ordre de la violence du désir érotique. Il s’agit plutôt de démontrer comment au niveau des sentiments, l’amour est le fruit de l’attraction du moins vers le plus, fruit de la volonté (celle de Pénurie) de s’approprier le bien d’autrui à la faveur de son inconscience du danger (inconscience d’Abondance). Ce mythe raconte encore comment, puisque chaque être tient de ses deux parents, l’amour peut être  à la fois voleur, pauvre et dépressif, et aussi riche, joyeux et débordant de puissance vitale.

On reconnait dans l’amour humain bien d’autres symboles de ces contes. Comme Vénus issue de la semence de Chronos, l’amour humain est enfant du temps, et il est bien connu que le temps tue ses enfants comme Chronos le fit des siens. Ainsi, le temps tue la joie de l’amour, car même si par extraordinaire il avait traversé victorieux toutes les épreuves des ans, la mort enfin aurait sa peau. La naissance de Vénus sortant des flots nous ramène d’ailleurs au miracle initial de l’entrée dans le temps : Vénus est sortie de la mer et la mer est le berceau de la vie. Dans l’utérus maternel, l’eau est salée. L’amour est normalement agréable, au moins un moment, parce qu’il est nécessaire à la survie de l’espèce.

Vénus sortant des eaux
D’une façon générale, la mythologie ne donne pas de l’amour une image idyllique : même chez les dieux, les obstacles sont énormes, et ce n’est pas Junon, sans cesse jalouse et cocufiée par son divin mari qui me contredira, ni Diane qui préféra rester farouchement vierge,  ni Daphné, qui supplia d’être transformée en arbre plutôt que d’être violée par Apollon, ni, ni… Mais jetons et un voile pudique sur les amours divines, et un regard plus attentif sur ce qui peut bien nous empêcher d’être heureux en amour.

La première catégorie des obstacles à l’amour, c’est la chosification, la réduction pour notre bénéfice personnel de l’autre ou de la vie à un objet. Elle renvoie à l’égoïsme, c’est-à-dire à l’égo roi et c’est la cause de bien des échecs de l’amour amoureux.

Par exemple, sur quoi reposait la fascination de Vulcain pour Vénus, et plus généralement, la fascination qu’on peut éprouver pour un être ? Souvent c’est parce qu’il possède ce qui fait défaut et envie. Demandez aux moniteurs de ski s’il leur est difficile de séduire les jeunes débutantes !  Derrière cette fascination se cache souvent un égoïsme un peu enfantin comme celui du bébé qui aime sa maman et consomme son lait. Vulcain veut la beauté de Vénus comme Pénurie veut l’Abondance, ils font tous deux la preuve d’un désir de prendre et non pas de donner. Ce qui est alors en jeu c’est le désir de s’approprier la qualité de l’autre comme une chose avec son amour. Amour à usage personnel.

Pour que l’histoire dure un peu, il faut que l’égoïsme de chacun y trouve également son compte, que le marché soit équilibré, ce qui fut sans doute le cas de Mars et Vénus. Je te donne mon plaisir tu me donnes le tien, ou alors : je te donne ma jeunesse, tu me donnes ton argent etc.  Nous-mêmes, n’avons-nous jamais rencontré ce type d’attraction au cours de nos amours ? Hélas on ne possède, comme on ne troque que des objets, on est loin de la puissance de la vie. Si au cours du temps, l’un des deux partenaires semble faillir, qu’advient-il ? Lorsqu’il ne peut plus payer, l’autre s’estime trompé sur la marchandise, lésé, trahi même. Vice caché, fin de l’histoire.

A l’inverse de ce désir de captation, on trouve parmi les obstacles au bonheur d’aimer le sacrifice de soi s’il entraine de l’auto-mépris. Supposons que j’absorbe toutes les mauvaises humeurs, les mauvais traitements de la part de l’autre, que je sois son « objet  de mépris. » Est-ce bien de l’amour que cette acceptation ?  Il arrive que nous nous enfoncions dans la victimisation, et alors, aussi étrange que cela puisse paraître, nous sommes encore dans le cas de figure du marché. Je m’offre en victime, tu en abuses et aimablement tu t’offres en bourreau. De nombreuses études ont traité ce sujet, c’est même le titre d’un ouvrage de Corneau : Victime des autres, bourreau de soi-même. On finit par avoir une image de soi si dégradée qu’on ne peut pas s’imaginer être heureux, ni avec soi ni avec quiconque. Je dis « on finit », mais sans doute la démarche est-elle inverse : c’est parce qu’on a une image avilie de soi avant toute rencontre que l’autre la dégrade encore. On sait dans toutes les municipalités qu’il faut garder les lieux publics propres pour éviter qu’ils ne soient encore plus abimés et saccagés.

Un autre obstacle à l’amour, ce sont les jugements qu’on s’autorise sur l’autre, ce qu’on appelle le pharisaïsme. Qu’est-ce donc que le pharisaïsme ? C’est adopter l’attitude séparatpharisieniste du pharisien décrite par Luc dans son évangile. Cet homme au temple se dit dans sa prière : « Mon Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes, qui sont rapaces, injustes, adultères, ou bien encore comme ce publicain. » Traduisons : « Mon Dieu, moi au moins je ne suis pas comme lui ou elle, moi je…, et je…, et je… » Remplissons avec sincérité les cases laissées vides. Ne nous sommes-nous jamais dit à propos de l’autre : « Moi je ne me serais jamais permis de faire ou de dire ci ou ça! D’ailleurs ne l’ai-je pas montré là et là…  » ? Dans ce cas, on se dédommage des déceptions que l’autre nous cause par un système de vase communiquant. Ce que l’autre nous inflige devient pour nous un accessoire de suffisance ou même de sainteté, notre égo se paye. C’est encore un marché et on ne marchandise que des objets…  mais jusqu’à quand nous sentirons-nous assez rémunérés pour être heureux dans une telle relation?

Je voudrais encore évoquer l’obstacle ordinaire de la mécanisation de la vie, qui toujours nous ramène à la chosification. Je veux parler de l’habitude qui tue l’émerveillement qu’on éprouve au début d’une relation. A force de voir la même tête, fût-elle aimée, la reconnaissance qu’on éprouve envers l’être aimé juste parce qu’il existe, s’émousse. Le jaillissement de la vie faiblit et il reste les enchainements mécaniques de la routine.

Un autre aspect de la mécanisation de la relation, c’est l’attente. Je m’explique : avec les meilleures intentions du monde, on peut se mettre à attendre que quelque chose d’agréablement vécu une fois se reproduise. Par exemple pour mon anniversaire, je veux des croissants dans mon lit comme tu m’en apportas ce jour, tu t’en souviens? Et pour la Saint-Valentin, on va au restau.  Ainsi, nous nous plaçons dans le désir du clonage d’un moment heureux et nous introduisons des exigences qui relèvent de la mécanique, ce qui regarde encore une fois des objets et pas de la vie. En effet, la vie est toujours changeante foisonnante et parfois imprévisible, si bien que les répliques obligées de moments heureux sont comme les répliques de tremblements de terre : de moins en moins puissantes. Avouons que le plaisir est de en moins vif, et l’amour de plus en plus conditionnel…

Qu’avons-nous fait? Au lieu d’avoir laissé filer ce moment de bonheur au courant du temps, nous l’avons attrapé. Nous agissons ainsi d’une part parce que nous ne nous rendons pas vraiment compte de l’engrenage que nous enclenchons, d’autre part parce que nous  manquons d’imagination et de confiance en la vie : nous avons été heureux une fois, nous avons peur de ne plus l’être autant.  Que la vie ait été capable d’inventer ce bonheur exprès pour nous ne nous convainc pas et ce manque de foi nous amène à vouloir thésauriser les moments de bonheur, donc à les chosifier, à vouloir figer le fleuve de la vie. C’est ce que les bouddhistes appellent la saisie. Mais je vous pose une devinette : comme la vie est mobile, qu’est-ce qui est immobile ? C’est la mort. Toute attente de la répétition mécanique d’un moment de bonheur appartient donc à la mort. Voyez, et si l’autre oubliait notre croissant d’anniversaire ? Alors il nous décevrait et par un affreux renversement, ce croissant qui un jour a accru notre amour le tuerait un autre jour… Garder dans son cœur un joli souvenir seulement pour reconnecter un moment de joie et raviver l’émerveillement ne gênerait en rien la relation, au contraire,  mais nous, nous avons tendance à ouvrir des comptes, à y ranger les objets de nos attentes et de nos ressentiments et c’est différent!

L’attente est donc pernicieuse pour celui qui attend, mais elle peut être fatale aussi à celui qui doit répondre à l’attente. Nous pouvons facilement nouenfant-punis en rendre compte, nous qui avons été élevés dans le chantage accepté de l’attente des parents, des profs et de la société. Quand nous avons ressenti que nous décevions, que nous n’étions pas gentils, nous avons commencé à nous trahir pour acheter l’amour. Puisque nous n’étions pas aimés dans la vérité de notre être, nous avons installé à notre place un autre personnage plus à même de remplir les conditions nécessaires à l’amour des autres. Nous avons instauré le mensonge et forgé un usurpateur. Le personnage que nous montrons peut bien être sincèrement aimé par notre amoureux, jamais nous n’en serons vraiment satisfaits puisque nous ne sommes pas ce que nous montrons. Adultère interne en somme. Il y a maldonne, et malgré l’amour, nous ne nous sommes pas comblés… J’ai connu un couple dont le mari était pointilleux sur la propreté des chemises, l’heure des repas et la qualité de la cuisine de sa femme. Elle se pliait à toutes ses attentes. Et voilà qu’un jour il s’est fait la malle avec une dame qui lui décongèle des frites,  et il porte des tee-shirts que personne ne repasse. L’un de ces deux personnages était complètement faux, n’est-ce pas? Et que devint sa femme ? Elle se mit à weight watchers.

L’amour vient du cœur, et un autre obstacle important est la place prépondérante que nous laissons au mental.  Je vais vous raconter pour illustrer ça une petite histoire juive que j’aime beaucoup. Ça se passe dans un TGV. Tout est tranquille quand soudain, une femme se met à parcourir les wagons en interrogeant partout : « Vous ne seriez pas médecin monsieur ? C’est pour ma fille. » Finalement, elle trouve un homme bien fait de sa personne qui se désigne. « Venez, suivez-moi, ma fille est par là-bas. » Arrivé devant la demoiselle, le médecin demande de quoi elle souffre si urgemment. « De rien, avoue la mère, mais elle est à marier ». Ainsi nous nous disons à nous-mêmes, ou nous obéissons à ceux qui nous disent qu’il vaut mieux épouser un/une fonctionnaire ou un notable qu’un/une saltimbanque, ou bien alors nous nous laissons séduire par le charme de quelqu’un qui présente l’avantage décisif d’être bien pratique pour une raison et une autre  et nous nous en convainquons parfaitement.  Mais dans ce cas, il y a peu de chances que le choix soit judicieux,  et si c’est une erreur dès le BA BA de l’histoire,  tôt ou tard, ça se verra.

D’ailleurs, il n’est pas toujours plus judicieux d’écouter des « coups de cœur » au mépris de toute sagesse, et là, nous touchons les risques que nous nous faisons courir à nous-mêmes en n’étant pas unifiés. Imaginons, c’est une supposition, que votre corps soit occupé à prendre les transports en commun, pendant que votre cœur s’agite d’impatience et que vos pensées tournent autour du moyen de profiter d’une promo vacances. Est-ce que ça vous paraît possible? Si oui, c’est qu’il vous arrive comme à moi de vivre dans un état de l’être  qu’on appelle dispersé, voire éclaté: le corps vit de son côté, le cœur d’un autre tandis que l’esprit est encore ailleurs. Dans ces conditions, admettons qu’il sera difficile de rencontrer celui ou celle qui nous offrira le 3 en 1. Nous risquons par principe deux tiers d’échec et une relation inharmonieuse qui en vérité ne sera qu’un reflet de la relation inharmonieuse que nous entretenons avec nous-mêmes. Que dis-je deux tiers… Est-il certain que dans cette situation, nous soyons en mesure d’attirer l’attention d’une personne centrée, chez qui le corps, le cœur et l’esprit aillent ensemble dans une présence unifiée? Comme la réponse est probablement non, nous voyons comment d’emblée, nous mettons peu de chances du côté de nos amours…

Et de fait, je ne connais personne qui n’ait vécu au moins un chagrin d’amour. Au moins un, parce que j’ai rencontré aussi des personnes qui collectionnent les chagrins d’amour ou les relations difficiles sans paraître masochistes pour autant. Et là, comment ça se fait? Que nous cherchions l’amour c’est normal puisque c’est la force de la vie et la nostalgie première. Mais que nous cherchions toujours ce qui va nous faire souffrir, c’est plus surprenant. En vérité, nous obéissons à une irrésistichagrin d'amourble attraction morbide. Nous portons (parfois sans le savoir) des blessures internes. Si la conscience a camouflé les souvenirs pour nous permettre de vivre, l’inconscient en garde la mémoire et  l’ensemble de notre être vibre à une fréquence qui en porte la marque. Cet état vibratoire fonctionne comme un signal : tut… tut… Le radar de l’autre qui correspond à cet état, soudain s’allume et le voilà qui surgit dans notre vie. Pour le meilleur, et pour le pire. L’enfant d’alcoolique épousera une personne parfaitement sobre jusqu’au jour du chômage, la victime de dévalorisation trouvera son dévalorisateur, et il se peut bien qu’aucune relation ne dure pour celui ou celle qui s’est senti abandonné dans son enfance. Attraction morbide, donc.

Mais ces prises de conscience sont le chemin de la guérison : en modifiant notre état intérieur, nous modifierons les êtres que nous attirerons. Notre troisième millénaire fourmille d’aides à ce changement vibratoire. D’ailleurs toutes les prises de conscience sont libératoires parce qu’elles donnent une information qui rend possible notre action pour vivre heureux. Regardez les cercles qui réunissent les familles d’Alzheimer ou les alcooliques associés. Il s’agit chaque fois de partager une information qui soutient. Il y a fort longtemps déjà, Bouddha a dit que l’ignorance était la racine de la souffrance. Vers quelles prises de conscience pouvons-nous donc aller?

La première des prises de conscience c’est que nous ne sommes pas seuls dans notre coin. Les obstacles font partie de la vie sur la terre, ils en font même l’intérêt car ils  nous offrent l’occasion de grandir en sagesse, et en amour justement, un amour vaste et gratuit. A partir de là, nous rencontrons des obstacles dans tous les domaines de notre vie, et ceux que nous offrent nos proches (parents, famille et conjoint particulièrement) sont ceux dont nous avons le plus besoin pour grandir, ne serait-ce que pour nous donner l’occasion de dire stop et de sortir de la situation… Le bon choix de notre compagne ou compagnon est alors le choix de la personne qui nous permettra un travail sur nous adapté à nos possibilités… Pas très marrant n’est-ce pas ? Quand chacun donne à l’autre la leçon que son âme attend, là c’est parfait! Il est rare que l’on considère une union amoureuse sous cet angle mais si on le faisait, une partie des peines d’amour trouverait un sens car ce travail peut nous aider à occuper entièrement notre juste place entre le ciel et la terre, c’est-à-dire à être entièrement nous.

Ainsi, reprenons l’exemple du sacrifice de soi dans une relation difficile. Nous devons être conscients du genre de sacrifice que nous consentons. S’il nous conduit à courber l’échine et à abdiquer en cédant notre pouvoir et notre royaume à un autre, ce sacrifice est inutile, il est même autodestructeur, nous en avons déjà parlé. Cela n’appartient ni à l’amour inconditionnel ni au plan parfait de l’harmonie cosmique. C’est un leurre. Si dans les mêmes situations, le sacrifice de soi nous amène à nous ériger entre ciel et terre pour recevoir l’amour de la part de la source de l’univers,  s’il nous rapproche de notre véritable identité qui est amour, il n’y a pas d’autodestruction mais purification de notre égo. Le don que nous offrons alors n’est pas un mouvement horizontal de victime à bourreau, don toujours recommencé et jamais rassasiant jusqu’à ce que mort s’en suive. Non, il est vertical, un feu de joie en l’honneur de la puissance divine, il est la pierre taillée avec art pour la construction d’un monde de paix. Puisque tout est interdépendant, ce que je guéris en le brûlant guérit des souffrances qui résonnent avec la mienne et ma souffrance n’existe plus, elle est épurée, alchimisée, transmutée de douleur en lumière ; mon égo s’amenuise et je suis vraiment heureux du bonheur de l’autre.fire-717504_640

Cependant la frontière entre le sacrifice qui enténèbre l’égo et le sacrifice qui le brûle en un feu de joie n’est pas une frontière claire et il faut beaucoup de discernement dans ces situations. Parfois, il est plus juste de décider de s’en aller et la phrase de Jules Renard : « Courage, fuyons ! » cesse d’être une plaisanterie. Rien n’est plus difficile que de fuir ce qu’on aime. Comment discerner ? Une clé est de nous rendre compte si notre sacrifice nous donne une paix profonde ou pas, s’il nous permet d’être heureux ou pas. Car si le désir que l’autre soit heureux nous anime seulement, si le voir heureux, c’est ça qui fait notre bonheur, où est la souffrance?

Un autre sujet de prise de conscience est de mesurer si nous  nous aimons nous-mêmes. La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a, et si nous manquons d’amour pour nous, que pourrons-nous donner  à l’autre ? Alors, est-ce que nous sommes capables de nous aimer nous-mêmes sans attente, sans condition, quoi que nous fassions ? Ce que l’autre nous demande comme effort, ne serait-ce pas le miroir tendu de ce que nous nous faisons subir ? Si nous nous sentons mal respectés, commençons par regarder si nous nous respectons nous-mêmes dans tous nos besoins ; s’il est difficile de communiquer avec l’autre, n’est-ce pas aussi le cas de notre enfant intérieur avec la grande personne que nous sommes devenue ? Si nous avons choisi quelqu’un d’instable, qu’en est-il de notre fragilité personnelle ? Bien souvent, il faut commencer par soi, prendre soin de soi et se guérir. La vie mettra beaucoup d’aides sur notre chemin. Et un jour nous verrons que l’autre a changé, ou qu’il n’est plus dans notre vie.

Et puis encore, prenons conscience de nos mécanismes dans le quotidien. J’emploie encore le mot mécanisme car nos souffrances bégaient. Chaque matin, nous pourrions être un corps qui s’éveille et que l’intelligence globale de l’univers traverse pour notre plus grand bien et celui de tous, pour que se déroule une merressortveilleuse journée vivante. Mais nous appelons notre mémoire à la rescousse pour retrouver notre nom, pour être heureux ou malheureux et réactiver prioritairement les ressorts qui nous ont rendus malheureux la veille ou bien avant. Chaque matin en ouvrant les yeux, nous ressuscitons notre passé, non seulement le nôtre mais celui de tous nos ancêtres qui sont morts sans avoir résolu la question qui nous tracasse. En d’autres termes, chaque matin nous ouvrons la porte à la souffrance. Nous nous réduisons à la réactualisation d’un passé avec quelques broderies nouvelles que nous appelons notre existence. Nous sommes parés pour le bégaiement du jour.

Prendre conscience que nous sommes grandement agis par ces mémoires a plusieurs conséquences. D’abord, ça nous incite à reconsidérer notre choix amoureux. Est-il vraiment de nous ou dépend-il des désirs inassouvis de nos ancêtres ? Juan Li, instructeur de tao, raconta un jour qu’il s’était préparé  par des années de discipline et de sacrifices à l’ascension du Kilimandjaro. Le soir même où entamait enfin cette escalade, il entendit distinctement la voix toute contente de son père. Juan Li se souvint alors enfin que son père avait toujours voulu escalader le Kilimandjaro sans pouvoir se l’offrir. Se sondant profondément, il découvrit ensuite qu’il n’avait jamais eu personnellement envie de cette ascension. Puisqu’il y était, il l’offrit quand même à son père et à ses années d’entrainement, mais il nous jura qu’on ne l’y prendrait plus… De la même manière, dans nos choix amoureux, nous pouvons jeter notre dévolu sur un partenaire qui répare les frustrations de nos ancêtres, et non pas les nôtres. Mais il y a pire, nous pouvons aussi nous sentir attirés par des personnes dont les ancêtres ont été ennemis : se marient ainsi des juifs et des descendants d’antisémites, des descendants de sorcières et d’inquisiteurs etc. Notre objectif est d’être heureux mais les lignées entières fourbissent leurs armes pour la haine et la vengeance… La vie va tôt ou tard devenir difficile. Comprendre que nos dissensions ne sont pas le fruit de notre présent mais la réactualisation automatique d’anciennes blessures, les nôtres et celles de nos ancêtres permet d’agir différemment : prendre du recul d’abord, et travailler sur soi.

Une des actions possibles est de cesser justement de réagir automatiquement : puisque l’automatisme est le fruit des mémoires, nous pouvons décider que nous n’y cèderostopns pas. L’attitude désagréable de notre conjoint est un automatisme de son grand-papa, et notre façon d’y répondre est probablement celle de tata Irma. Rebellons-nous ! Non à l’automatisation de nos vies, oui à la créativité ferme et joyeuse ! Cela peut prendre la forme du refus…  par exemple pour les femmes, le refus de subir qui est le mécanisme dominant du sexe faible : Non chéri, je ne me lèverai pas de table pendant que tu textotes, pour aller ranger la cuisine et coucher les enfants,  ou encore : non je n’ai pas envie de faire l’amour maintenant, et figure-toi que ce n’est pas du tout parce que j’ai mal à la tête ! Un tel refus sans agressivité est très puissant pour libérer les mémoires des uns comme des autres puisqu’il est une action vivante et non automatique. Si l’autre nous aime, il s’adaptera et à force, les ancêtres verront les choses changer, une relation plus équilibrée s’installer, si bien que comme je l’ai déjà dit, en guérissant la relation, nous guérissons nos mémoires ancestrales et nettoyons les programmes des enfants…

Le pardon aussi est très intéressant à appliquer, vu qu’au point où nous en sommes, il n’existe pas de relation amoureuse sans occasion de l’exercer. Je n’en  veux pour preuve que l’histoire du premier couple humain connu, Adam et Ève. Tout avait commencé pour le mieux, créés ensemble ou l’un tiré de l’autre dans une unité idyllique, ils s’aimaient…  Las, au milieu de leur bonheur, l’épouse provoqua un drame horrible, du moins si l’on en croit ce récit masculin. Le couple fut alors jeté hors du Paradis chutant la tête la première dans la matière. Ève est désormais condamnée à accoucher dans la douleur et Adam à gagner le pain à la sueur de son front. A moins qu’ils n’aient conclu qu’il n’y avait pas de ‘faute” puisque tout le monde peut se tromper, on leur souhaite d’avoir su s’entre-pardonner tous les deux car il y avait là de quoi faire de leur vie conjugale un enfer… un enfer durable puisqu’ils vécurent quand même plus de neuf cents ans. La bible ne nous dit pas s’il y eut de la rancune entre ces premiers époux, des reproches resucés pendant des siècles.

Et s’ils n’avaient pas su ? Alors ne nous étonnons plus ! Nous savons désormais d’où nous vient notre propre difficulté et pourquoi nous gardons si facilement « en travers de la gorge », au niveau de la pomme… d’Adam peut-être, le souvenir des offenses de couple. Dieu après la sanction ne leur  tint pas rigueur, au contraire il leur apposa une marque de protection. Par contre, ce que nous savons bien, c’est qu’historiquement la rancune des hommes contre les filles d’Ève a fait des ravages depuis des milliers d’années. Leur vengeance a lourdement pesé sur la place de la femme dans le couple et dans la société et jusqu’à la mise en place de produits médicaux pour accoucher sans douleur.

Eh oui, le pardon est rarement le legs des humains, et nos ancêtres n’en ont pas abusé. Cela demande donc une très grande volonté de décider un pardon car nous n’avons pas que nous à manager… mais heureusement nous sommes les enfants de l’univers et on n’a pas entendu dire qu’au cours du bigbang, les atomes aient été fâchés d’exploser ni que les astres en veuillent aux météores qui les percutent. Cosmos signifie ordre et beauté, puisons dans ce réservoir pour décider et recevoir la puissance du pardon. Car chaque fois que nous pardonnons, nous nous émancipons un peu plus de notre héritage de colère et de vengeance et nous nous libérons de ces contraintes. Chaque fois, nous sommes mieux avec le ciel et plus près de nous-mêmes. De plus, le pardon ne nous étant pas naturel, l’exercer nous replace devant la souveraineté de l’amour au moment présent, dans une situation de créativité,  alors que la rancune nous coince dans l’immobilité en nous maintenant dans le passé, rivés à l’offense par la chaine de la haine ou de l’amertume. L’offense peut bien s’éloigner dans le temps,  si nous y restons accrochés en refusant de pardonner, nous nous mettons en dehors du fonctionnement global, nous ne sommes plus en harmonie avec le flux de l’univers.  Il y a désormais le flux cosmique et il y a le nôtre – et le nôtre coule mal. Dans la symphonie cosmique, notre nom c’est cacophones.

Accordons plutôt notre instrument pour qu’il sonne bien, et inversons le mouvement : laissons l’univers l’ajuster à sa partition, lâchons nos idées sur l’amour puisqu’elles dépendent des œillères de nos ancêtres, ayons le désir de prendre conscience de nos comportements aveugles ou égoïstes, et d’arracher les racines de nos souffrances.  Ayons le courage de nous changer et de changer les choses, ayons l’humilité de demander de l’aide. Demandons de la conscience, toujours plus de conscience, demandons de recoïncider avec l’amour qui fut  notre origine biologique, ce même amour qui a déployé les mondes. Demandons que notre cœur s’ouvre et brûle.fleur bleue
Alors, il comprendra ce qu’est l’amour de l’univers : un amour universel. C’est cet amour qui offre au soleil la fleur du perce-neige et qui donne au chemin le parfum de l’églantine, c’est lui qui explose le cerisier en milliers de cerises. L’amour est dans le rire de l’enfant qui joue avec sa maman, dans le pépiement de l’oiseau, dans le claquement de la vague contre la falaise, dans la combustion du soleil et la fidélité des étoiles au ciel nocturne. Il est l’amour gratuit et fort de l’amitié, de la compassion et du bonheur de donner. Il a sa place dans l’amour amoureux, il touche Cupidon qu’il nomme Don, et lui montre comment l’attraction sexuelle au lieu de disparaître avec le temps, offre le secret de l’orgasme cosmique quand la force s’élève. La flèche est décochée vers le soleil et l’amour se fait lumière.

Françoise Manjarrès