Pâques, récits du passage vers l’éveil

 

Tous les ans, Pâques prend place au printemps, parce que c’est la fête de la vie. La terre célèbre la résurrection de la nature après la mort de l’hiver. L’oeuf fermé s’ouvre sur la vie du poussin, et on cache les oeufs de Pâques dans les jardins pour les petits enfants. Pâques chante la vie, on pourrait même dire que Pâques avec la nature chante la renaissance, la naissance même, passage s’il en est. Et le mot Pâques signifie ‘passage’ : de l’esclavage à la liberté, de la mort à la vie. Pâques est un moment clé aussi bien pour les Juifs que pour les Chrétiens. Ces moments sont pour chacun d’eux des passages vers la joie et ce que nous en conte la Bible peut donner à notre réflexion d’aujourd’hui des éléments de réponse à nos questionnements. En ces temps troublés, nous ne savons pas où nous allons, nous sentons qu’il serait bon de changer quelque chose et nous avons besoin de joie. Quel est le sens de ce que nous traversons? Quelle direction donner à notre existence dans cette instabilité ? Un passage est transitoire, certes, mais il peut être difficile. Alexandra David Neel rapportant son expérience au Tibet il y a plus de cent ans disait qu’il était temps pour l’humanité de rassembler la sagesse du monde et de s’en souvenir. Alors souvenons-nous des aides que chez nous des sages ont placées dans les anciens récits. Et puissent leurs indications nous être utiles. Où aller et comment? Avec qui ? Qu’est-ce qui empêcherait de passer? Qu’est-ce qui nous y aiderait ? Dans les contes, il arrive que les fées donnent des objets magiques nécessaires à la quête du héros. Ici avec les hébreux, nous rencontrerons en chemin : l’eau et le feu, le puits et le bâton.

Mais avant de partir nous mêmes à leur rencontre, vérifions que notre projet est sensé. Interrogeons-nous sur la validité de ces deux récits et sur leur véracité historique. Au sujet de la fuite des Hébreux hors d’Egypte, plusieurs affirment que tout cela n’a jamais eu lieu. Ils disent que si comme le racontent l’Exode, le Lévitique et les Nombres, qui sont des noms de livres de la bible, si 400 000 personnes avaient quitté l’Égypte et traversé le désert avec des centaines de milliers de bêtes et leur or et leur argent, s‘ils avaient causé non seulement une crise économique majeure mais la mort du chef de l’état, de ses armées et de ses chevaux, eh bien alors on trouverait trace de ce cataclysme dans les écrits de ce pays connu pour ses scribes et sa manie de tout noter. Or il n’y a rien. A tout le moins concèdent-on, si cela a existé, ce serait le fait d’une très minime partie du peuple.

Au sujet du Christ, les objections à la vérité de sa résurrection se sont fait connaître aussitôt. Ce sont les Evangiles eux-mêmes qui nous en informent. Les chrétiens d’ailleurs considèrent que croire en la résurrection du Christ est un acte de foi, acte de foi fondateur de la totalité de leur foi et de leur joie. “Si le Christ n’est pas ressuscité, dit Paul aux Corinthiens, vous n’avez rien à croire.” J’ai lu aussi des contestations sur l’existence entière de Jésus, qui pourrait avoir été inventée de toutes pièces, et des désaccords sur plusieurs éléments de sa vie.

Alors? Eh bien, même si personnellement ces assertions me déstabilisent un peu, sur le fond cela n’a pas d’importance. S’ils n’avaient pas d’historicité, les récits vaudraient toujours par leur fonction. Ils resteraient des modes d’emploi vers Pâques, cette fête de la vie dont la valeur est universelle et toujours proposée. Ils nous enseigneraient quand même. Que les auteurs de ces récits aient grandement aménagé l’histoire resterait une mise en œuvre pédagogique, comme dans les récits mythologiques. En outre, cela nous autoriserait à prendre quelque distance avec certains aspects trop marqués par la mentalité du moment. C’est par leur valeur méta-historique, selon l’appellation d’Annick de Souzenelle, que ces textes anciens gardent aujourd’hui pour nous la saveur de l’enseignement.

Pâques signifie donc Passage en hébreu : pessah. La racine de ce mot, c’est le pas, ce mouvement du pied qui nous met en déséquilibre pour que nous puissions avancer lorsqu’il se reposera. Il y a toujours dans le pas et le passage et une notion de direction selon l’endroit où nous choisirons de reposer le pied, et une notion d’insécurité puisqu’il y a un moment de perte d’équilibre entre deux équilibres différents : celui d’avant et celui d’après. Heureusement le passage est transitoire : il s’agit juste de passer. On parle parfois de nos passages à vide, et derrière le passage à niveau, le passage du train est rapide. Ensuite, ce qui est dé-passé reste derrière, dans le “passé”. Il arrive donc que le moment du passage soit inconfortable, mais si la destination est bonne, nous ne nous rappelons plus une fois arrivés les dangers du trajet ni les difficultés du départ. C’est de ces passages positifs que parle la Bible. Quand une femme a accouché, la douleur du passage de l’enfant s’efface devant sa merveille et les corps se reposent.

Que se passa-t-il chez les Hébreux le jour de Pâques? La Bible nous dit que ce jour-là, les esclaves juifs mangèrent sans s’asseoir pour fuir hors d’Egypte. Fuir oui, mais partir aussi, s’élancer vers la terre promise où coulent le lait et le miel, naître à la liberté. On emploie aussi le mot de Pâques pour le passage libérateur de la Mer Rouge. Chez les chrétiens, le Christ se montre le jour de Pâques dans un corps rené, corps d’énergie et de lumière, passé par la mort physique. L’église des premiers âges considéraient la croix aussi comme une Pâque puisqu’il est évident que la crucifixion est en soi passage de la vie à la mort et aussi parce qu’il faut bien mourir pour faire ce passage dans l’autre sens et ressusciter. Peut-être aussi à cause du passage du Christ aux enfers dans les deux jours avant sa résurrection. Puis, rapidement la jubilation du passage de la mort à la vie a été privilégiée et c’est ce jour seul qu’on a appelé Pâques. 

En unissant les deux récits, nous nous apercevons que Pâques englobe la totalité du passage : le départ, le chemin et l’arrivée. Le départ, avec la fuite des esclaves, le chemin, avec la traversée de la Mer Rouge à pied sec, et la destination avec la résurrection. Le dénominateur commun de toutes ces pâques, c’est la joie, l’ouverture à un état meilleur et différent. Imagine-t-on la hâte et la joie des Hébreux quittant un lieu où ils étaient exploités jusqu’à la moelle et partant tous ensemble pour une terre d’Eden ? Ensuite, après l’inexplicable traversée de la Mer Rouge, Rébecca la soeur de Moïse empoigna son tambourin pour danser et acclamer. Vous représentez-vous cette liesse générale ? Le peuple entier est vivant. Tout le monde est là, sain et sauf contre toute attente. Elles dansent, les familles, elles exultent de se voir si définitivement débarrassé de leur joug, en sécurité. Enfin, on ne sait rien de la joie de la resurrection mais elle doit être à la mesure de la victoire de la vie sur la mort : énorme.

Ce qu’on appelle Pâque débute donc avec les premiers pas sur la voie de la liberté (au sens propre pour les Hébreux dans la Bible). On peut qualifier de petite pâque tous les événements objectifs ou intérieurs de notre vie qui nous libèrent. Qu’ils soient survenus abruptement ou qu’ils aient couronné de longs efforts, ils représentent des sortes d’étapes, de petits éveils, un accroissement de lucidité et de conscience, une plus grande ouverture à l’amour et à la tranquillité. Pouvons-nous en évoquer dans notre propre existence ? Un instant d’émotion devant l’eau scintillant aux rayons du soleil ? L’évaluation enfin honnête d’un événement de notre vie, qui s’allège ? Si nous l’avons-nous vécu, avons-nous su garder ce moment précieux ? Si nous ne l’avons pas vécu, nous sommes-nous entraînés dans cette direction ? Avec le Christ, Pâque débouche sur la démonstration d’une nouvelle naissance, le passage d’un état d’être à un autre, une mutation bienheureuse

Aussi, selon les récits bibliques de Pâques, on n’y arrive pas seul, il faut un guide, un passeur, un Moïse, un Jésus. Il faut, dirait-on en Inde ou au Tibet, un maître à la longue patience et compassion, un gourou à l’infaillible constance. Il y a deux et trois mille ans, il fallait beaucoup de circonstances particulières pour se trouver dans l’entourage de Jésus, de Moïse ou de Bouddha. Aujourd’hui, avec les livres, les vidéos et les avions, Jésus, Moïse et Bouddha continuent à s’offrir à nos chemins, et d’autres enseignements de nombreux sages s’approchent de ceux qui veulent s’approcher d’eux. Alors avons-nous cherché, avons-nous trouvé notre Moïse? De toute façons, cela fait, rien n’est fait.

Non. Car il ne suffit pas d’avoir un livre sur un rayon de sa bibliothèque, ou de pratiquer un rite comme d’aller à la messe ou de respecter le ramadan, il faut s’engager réellement dans le passage indiqué. Selon les leçons de la bible, il faudra littéralement se mettre en route, suivre le guide, avancer droit, dans le bon sens et courageusement. Voilà qui ramène encore à la notion de pas. Passer peut sembler facile et linéaire, comme le train qui roule sur sa voie ferrée, mais les textes anciens nous disent le contraire. Il y a de nombreuses façons de ne pas suivre le guide, de ne pas arriver au moment de la renaissance. Peut-être nous y reconnaîtrons-nous car elles sont intemporelles.

D’abord, et c’est le cas le plus courant, nous n’avons pas envie du voyage, pas même celle de démarrer. Longtemps, le peuple hébreu accablé par l’esclavage ne manifeste pas l’énergie nécessaire à sa libération. Il a juste la force de se plaindre et de récriminer. Or il est clair que sans premier pas, il n’y en aura pas de deuxième. Dans ce genre de situation, nous comme eux, nous choisissons de stagner là où la vie nous a posés jusqu’à ce que mort s’en suive. Ce n’est pas drôle, mais c’est moins fatigant que de prendre la route. Jésus pourrait bien parler à la télé sur France 2 que nous passerions sur TF1.

L’autre écueil qui nous est signalé sur le chemin de Pâque est notre tendance à regarder en arrière au lieu de regarder devant nous. Outre que c’est dangereux quand on se déplace, cela entraine un déplacement erratique. Ce n’est pas ainsi qu’on traverse. La bible nous alerte sur ce point avec l’épisode du veau d’or. Moïse est parti la-haut sur sa montagne, il s’éternise, si j’ose dire, avec Dieu. Les gens s’impatientent en bas, ils s’inquiètent et faute de mieux, disent-ils, ils retournent aux vieilles idoles, celles-là mêmes qu’ils avaient quittées. Pourquoi? Simplement parce qu’ils les connaissent et qu’ils en ont eu l’habitude. On voit bien ici que le passage dont il est question dans l’Exode n’est pas seulement un passage géographique d’un point à un autre, ou un changement d’état social d’esclave à homme libre, qui serait offert comme on gagne au loto. Il faut un passage intérieur d’un état à un autre et une nouvelle assiette : esclave ou libre, c’est aussi une question de mentalité.

Or comme le dit Jésus à quelqu’un qui le questionne : “Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas propre au Royaume de Dieu”, le royaume de Dieu, c’est à dire à l’état d’éveil. J’ajouterai que celui-là n’est pas propre non plus au labour. Son sillon sera tout tordu. Qu’en est-il du sillon de nos vies? Nous sommes nombreux à avoir arrêté dix fois de fumer ou de manger du chocolat, à retomber dans nos travers à la moindre occasion. Notre chemin de vie dessine parfois des zigzags serrés. Nous rendons nos efforts inutiles en parcourant dans l’autre sens l’espace que nous avions gagné dans une direction. Pour utiliser une désagréable comparaison biblique – et sauf notre respect, nous sommes alors comme les chiens qui retournent manger leur vomi. Du coup, nous devons refaire encore et encore le premier pas et nous risquons de nous décourager une fois pour toutes

La Bible nous alerte encore sur un puissant ennemi du passage : la peur. La peur fait rater la tere promise. Pourquoi? Si on a peur, c’est qu’on n’a pas confiance, l’autre mot pour dire foi, qui est l’absolue certitude de l’amour. Pour entrer dans le pays où coulent le lait et le miel, il faut une confiance totale, telle qu’on se jette dans l’inconnu, qu’on saute sans rétraction dans les bras de l’impensable. Eh bien, c’est ce que ne firent pas les Hébreux devant le pays qui leur avait été promis. Inquiets de l’accueil qu’on leur réserverait dans ce pays apparemment déjà habité, ils avaient envoyé des éclaireurs. Lorsqu’ils revinrent, ceux-ci les inquiétèrent encore davantage. Ils rapportèrent que l’endroit était peuplé de géants géantissimes. Un seul eut assez de foi pour conseiller d’avancer quand même, puisque c’était le pays de la promesse, mais nul ne l’écouta. On le fit taire. Les gens donnèrent à leur peur la première place. Et qu’arriva-t-il ensuite?

La peur nous amène à tourner en rond dans l’espace, pourvu qu’il soit connu, et fût-il désertique. C’est donc ce que firent les Hébreux, tournant pendant quarante ans dans le désert comme dans une cage, le temps que tous les inhibés soient morts. Sans doute aussi, à force, l’inconfort du désert avait-il accrû chez la génération suivante la volonté d’en sortir. Et nous? De quoi avons-nous si peur que nous pourrions rater la terre promise? Au-delà de peurs multiples qui demandent guérison,Notre peur la plus profonde est que nous sommes puissants au-delà de toute limite,” a cité Mandela. Et justement, tout le problème est là : sortir des limites dont nous avons l’habitude.

Voilà bien le coeur de Pâques, ce passage au-delà des limites. Ajourd’hui, même si cela ne dure pas depuis quarante ans, nous tournons de confinement en confinement dans des limites trop étroites si bien que nous rêvons daventure. Baudelaire se languissait tant de plonger enfin “dans l’inconnu pour trouver du nouveau” qu’il en appela jusqu’à la mort dans le poème Voyage. De plus, indépendamment du corona, nous voyons l‘état de la terre et le sort que nous faisons à des milliards de vivants, des humains aux insectes. La terre nous montre que nous la menons, et nous avec elle, dans une voie sans issue, une im-passe. Notre conscience nous chuchote ou elle nous crie qu’il faut passer, passer à autre chose.

Voudrons-nous écarter les trois obstacles que nous avons observés : l’inertie, l’attachement à une situation même si elle n’apporte pas de bonheur et la peur de l’inconnu? Sommes-nous décidés à partir vers le printemps de Pâques pour trouver un nouveau passage ? Pour rendre à la terre son état de jardin et aux vivants la douceur de la vie ? La période est idéale pour répondre oui. Mais aussitôt surgit la question : comment partir ?

Réponse pratico-pratique donnée par les Hébreux : à pied. Vous allez m’objecter qu’on ne voit pas en quoi cela peut nous servir d’enseignement, puisqu’il leur était impossible à l’époque de prendre le train ou le bus. De plus, cela ne nous donne pas d’indice sur la direction. Bien sûr. Mais les caractéristiques de la marche pourraient bien nous être utiles quand même aujourd’hui.

La marche est faite de pas, de ces pas qui forment le passage. Elle est lente. Cette lenteur a de quoi énerver à l’heure du TGV et des vols internationaux, mais elle est d’autant plus précieuse que la vitesse de nos moyens de transports nous fait oublier nos contraintes physiologiques devant la distance. Sans moyens mécaniques, livrés à nos seules jambes, nous n’allons plus très loin, et beaucoup plus lentement. La marche nous rend donc plus lucides sur nos capacités réelles et nous ramène à la modestie. Sans jeu de mots, la marche, ça fait atterrir. Ca nous enseigne la patience. Un pas après l’autre, un pied devant l’autre, pas à pas.

La lenteur de la marche offre encore une opportunité que nous pouvons saisir, celle de la communication avec nous. Dans l’emballement de la vitesse de nos vies, il arrive que nous nous perdions. Nous sautons dans le temps d’objectif en objectif, nous sommes toujours après, ou avant, ou ailleurs. Au cours de nos trajets, surtout s’ils sont familiers, nous nous absentons en pilotage automatique et nous ne sommes plus là, nous pensons à autre chose, à ce que nous ferons quand nous serons arrivés par exemple. Nous nous volons ainsi à nous-mêmes notre propre existence. C’est pourquoi des centaines de milliers de gens parcourent à pied chaque année la route de Compostelle sans être ni juifs ni chrétiens, mais à la recherche d’eux-mêmes.

Ensuite, la marche d’un peuple dessine dans l’espace un ruban plus ou moins large et ininterrompu. Rien à voir avec les habitacles séparés de nos voitures, ou même des wagons des trains. La marche ne pose pas d’autre obstacle entre les êtres que celui des corps. Lors de processions, ou de manifestations, on peut ressentir la joie de cette unité, mais avez-vous déjà ressenti l’unité des voitures dans les embouteillages, même si tout le monde va dans le même sens ? Le peuple hébreu qui marche reste ensemble, même au coeur de ses plus grandes aventures comme le passage à travers la mer ouverte. Et la sensation d’être ensemble est porteuse de vie et de courage pour tous les voyages. On l’a bien vu, lors du premier confinement surtout, quand les ainés devaient mourir dans la solitude et partir sans être accompagnés des leurs. C‘était une souffrance de plus. Rapportées à l’échelle individuelle, toutes nos petites avancées sont des accroissements de paix et de joie, c’est à dire un renforcement de notre cohésion interne, ensemble avec nous-mêmes.

La marche nous enseigne enfin qu’il faut voyager léger, pour reprendre une formule taoïste. On peut bien commencer comme les Hébreux, lourdement chargés, mais le poids en devient si handicapant qu’on s’en débarrasse. Que leur restait-il à eux, après des décennies? Ne gardons que l’essentiel, le reste alourdit. L’essentiel est toujours simple. A un moment, peut-être arriverons-nous à cette simple évidence: nos pieds se posent sur la terre, et la terre nous porte. Les chamanes disent que nous marchons sur le ventre de maman. Sans doute si nous parvenons à ouvrir notre perception à cette relation, le monde nous paraîtra différent et plus beau que celui de nos cités, et nous aurons envie que celles-ci retrouvent la vérité de la terre mère. Le rythme de nos pas s’accordera aux battements de notre coeur et c‘est par lui que nous trouverons le passage, puisqu’il est clair que notre cerveau est passé à côté.

Toutefois, marcher ne suffit pas, sinon tous les gens d’autrefois auraient vécu leur Pâque, alors que l’histoire humaine nous informe du contraire. Il faut aussi marcher derrière un maître pour connaître la bonne direction. “Suis-moi “dit Jésus plusieurs fois à ses interlocuteurs. “Où on va?” demandent les petits enfants, et quelques uns dans les évangiles. Jésus a répondu en Mathieu quelque chose qui ressemblait à “Nulle part”. Il a dit : “Les renards ont des tanières, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le fils de l’homme n’a pas d’endroit où poser sa tête”. Il est douteux que ce charpentier fils de charpentier n’ait pas eu de toit, d’autant que ses amis et sa mère lui ouvraient volontiers leur demeure. Jésus indiquait donc que sa véritable identité n’avait pas d’oreiller. Et quand un Christ n’a pas d’oreiller, c’est qu’il n’en a pas besoin.

En d’autres termes, s‘il n’a pas d’endroit où poser sa tête c’est que là où il est, tout en étant aussi sur terre bien sûr, il n’y a pas d’endroit, et pas de tête non plus. Avant sa crucifixion, Jésus le précise à Pilate le gouverneur en toute clarté : “Mon royaume n’est pas de ce monde”, c’est à dire ce monde des corps et des objets, le monde d’Hérode et de César, le nôtre aussi. Évidemment cette assertion n’avait rien éveillé dans le cerveau de Pilate qui appartenait au même monde qu’eux, et que nous.

Tous ces propos forment pour les suiveurs éventuels un écueil de taille : comment aller dans un endroit où il n’y a pas d’endroit ? Comment suivre quelqu’un nulle part? Où est-ce ? Comme le dit Thomas dans l’évangile de Jean : “Seigneur, nous ne savons où tu vas; comment pouvons-nous en savoir le chemin?” A la vérité, nous venons tous de cet “endroit” sans endroit et il faudra que nous y retournions mais la seule chose que nous puissions en dire pour l’instant, c’est que nous ne savons rien, sauf que notre corps n’y partira pas, de sorte que nous n’aurons plus non plus besoin d’oreiller.

C’est notre différence avec Moïse et Jésus, Bouddha et toutes celles et ceux qui ont franchi ce passage sans mourir. Ceux-là ont vécu consciemment dans les deux mondes: dans le monde sans corps d’où nous venons et aussi dans un corps et une maison. Ils ont vécu avec et sans adresse, ou plutôt avec une adresse localisée facile à indiquer et une adresse indescriptible. Ils nous disent que cette autre adresse est celle de l’amour universel et de la joie sans cause, et c‘est ce qui les rend si précieux pour les humains dès qu’ils sont dans cette quête. Voyons les indices du chemin dans leurs paroles et les récits qui les mettent en scène pour y repérer quelques leçons intemporelles.

Commençons par l’eau, son rôle et son message. Nous allons la rencontrer sous différentes formes. Avant la naissance de Moïse comme avant celle de Jésus, le pouvoir ordonne le massacre des nouveaux nés. Comme Jésus, Moïse échappe à la mort. Sa soeur Rébecca le dépose dans une petite boite sur l’eau près de la fille du pharaon. Celle-ci le découvre, lui trouve une nourrice qui n’est autre que sa vraie maman, l’adopte et lui donne son nom qui signifie en égyptien sauvé des eaux. Nous pourrions dire aussi ‘sauvé par les eaux’, d’autant plus qu’il n’est pas le seul nouveau-né à qui advint cette extraordinaire aventure. L’eau du Nil rappelle celle du Tibre qui sauva Romulus et Rémus, les mythiques fondateurs de Rome. Elle rappelle aussi l’Euphrate qui recueillit dans un semblable berceau le premier roi acadien de Babylonie il y a 5000 ans. Elle nous rappelle les eaux matricielles complices de la vie. Nous naissons de l’eau, notre mère a dû les perdre pour que nous passions de son monde à ce monde. D’ailleurs, dans le récit de la naissance de Moïse, la bible ne met pas d’homme en scène. L’eau matricielle, c’est la femme : la princesse et sans doute ses suivantes, Rebecca, la maman de Moïse, c’est tout. Le seul homme est un bébé. Première leçon, qu’on soit homme ou femme : privilégier le féminin qui donne la vie.

Les eaux ont une autre signification symbolique: elles indiquent les émotions et les états plus ou moins boueux dans lesquels nos existences parfois s’embourbent et parfois naufragent. Alors quand on est un bébé jeté dans un fleuve, on a besoin d’un berceau. Un berceau? Justement, le berceau n’est pas un berceau car la bible nous décrit un coffre étanchéisé par un enduit de bitume. Cela nous ramène plutôt au déluge et à l’arche construite par Noé, qui fut soulevé par les eaux et flotta tandis que tout était englouti. Ce genre d’objet se fabrique avec patience, Noé y consacra de longues années. Voici donc la deuxième leçon : Ne pas craindre les émotions, mais avoir connaissance de ses dangers et travailler longtemps à s’en prémunir. Ainsi serons-nous portés par elles et non noyés dedans.

Outre les eaux horizontales, la bible cite plusieurs puits d’Isaac à Jésus Christ, et présente Moïse comme le maître du puits du pays de Madian. Dans ces pays de sècheresse, la première chose à reconnaître est l’importance du puits, garant de la vie. Il se trouve que le point commun des histoires bibliques de puits est leur lien avec le mariage et avec l’amour. Pour Moïse aussi.

Le mouvement de l’eau du puits est inverse du mouvement du fleuve. Le fleuve est horizontal et son eau descend. Le puits est vertical et son eau doit monter, c’est le seau vide qui descend. Quelle est la leçon ici? Il faut nous pencher sur la margelle pour la comprendre. Le puits est comme un tuyau, un canal entre la lumière d’en haut et l’obscurité d’en bas. Or les taoïstes et les yogis nous enseignent que l’énergie descend du ciel jusqu’à la terre par le corps de l’homme depuis le haut du crâne, et qu’elle monte de la terre, jusqu’au ciel. Vous trouverez de nos jours facilement des enseignants, même par Zoom ou youtube. Mais revenons à notre récit. N’est-ce pas ce qui se passe dans un puits? L‘énergie sans forme et lumineuse du ciel est symbolisée par le vide du seau qui descend dans l’obscurité jusqu’à son immersion complète dans l’eau qu’il remonte à la lumière. Nous sommes bien d’accord qu’il est inutile de descendre un seau dans un puits si on ne va pas jusqu’à l’intérieur de l’eau ! Dans un puits, l’initiative vient d’en haut, l’eau attend.

Le puits associé aux mariages nous enseigne donc la fusion du feu et de l’eau, du ciel et de la terre. Lorsque la bible nous montre Moïse comme le maître du puits, elle nous indique qu’il fait dans son corps la jonction entre le ciel et la terre. Cela reste abstrait pour nous, comme les couleurs pour les yeux des aveugles… Alors cherchons à nous représenter plus précisément les implications d’une telle jonction.

La capacité d’unir en soi le ciel et la terre a pour corollaire que toute la puissance de l’univers peut être ramenée dans un point précis de cet univers : le corps de l’homme. Pour nous approcher de l’idée de la puissance de l’univers, demandons l’aide de HR5171. Elle fut découverte en 1960 dans notre petite galaxie, mesurant plus de 1300 soleils, un million de fois plus lumineuse que lui. Un million? Notre cerveau est déjà perdu, nos neurones errent à l’abandon. Allons neurones, courage ! Cette étoile appartient à notre galaxie à nous, qui se trouve dans un quartier formé d’autres galaxies aussi grandes que la nôtre et nommé groupe local. Vous voyez l’échelle du ‘local’ ? L’ensemble de ces immenses galaxies locales ne sont donc qu’un petit espace au sein d’un plus grand espace, et donc HR5171, c’est vraiment peu de chose. Alors notre terre ? Bref.

Donc, celui qui est chez lui sur la terre comme au ciel, celui qui passe d’un monde à l’autre jouit de la puissance infinie de l’univers, une puissance inimaginable, inconcevable qui n’est pas la sienne mais celle du ciel qu’il ramène ici-bas. Jéthro, le père des jeunes filles que Moïse rencontra autour du puits ne s’y trompa pas, il s’empressa de lui donner une en mariage et elle l’accompagna dans son voyage. Quant à nous, libre à nous de tenir compte ou non de la leçon du puits, dont voici le programme est donc : découvrir notre puits et apprendre à l’utiliser. Sachant que cette troisième leçon s’accompagne d’une leçon 3bis puisque le puits s’accompagne de mariages. Donc leçon 3bis : réviser notre évaluation et notre pratique de la sexualité. Et dans tous les cas, nous souvenir qu’en tout c’est l’amour qui s’exprime.

La bible nous donne avec le bâton de Moïse la version d’un puits au-dessus du sol et quelques illustrations des pouvoirs de l’homme unifié avec le ciel. Le bâton que reçoit Moïse est particulier. Quand il est horizontal, il est serpent, il rampe, rien de lui ne s’élève. Quand il est vertical, il est sceptre, il donne la vie. Le bâton de Moïse montre les deux états de l’énergie de l’être humain. Quand elle reste contre terre, endormie, l’être humain est ordinaire, il est le jouet des circonstances et de son inconscient, sans pouvoir. C’est nous. Mais si cette énergie est élevée – et la bible dit que seul Dieu peut l’élever, si le serpent se dresse, alors l’être humain est verticalisé dans sa relation terre-ciel, il est libre et puissant. Les yogis ont donné à cela le nom de kundalini. Le bâton vertical, c’est comme le puits le lien entre la terre et le feu, le signe que l’homme a rencontré les forces divines. Il représente la totale maîtrise des énergies du corps et des forces de l’univers, c’est le bâton de Dieu.

Dieu demande à Moïse de garder le bâton dans sa main pendant tout le chemin. Autrement dit, pendant le voyage de sa vie, il devra rester conscient de son corps et de sa puissance, ne pas quitter sa verticalité, ne pas oublier que son origine est en haut, dans l’énergie pure information, pure lumière et amour absolu, ni qu’il doit agir en bas. Moïse doit se souvenir de son ancrage sur la terre et que celle-ci doit s’élever en lui vers le ciel. Il me semble que dans le bâton c’est plutôt le mouvement ascendant de l’énergie qui est mis à l’honneur, mais quoi qu’il en soit, ce bâton d’un seul tenant est le signe de l’unité des mondes, unité du haut et du bas.

Avec le bois quand Moïse frappe le sol, c’est l’univers qui frappe le sol et les puissances de la terre, des sources ou de la mer obéissent. Ou alors il l’élève vers le ciel et accourent les puissances célestes. Le bâton de Moïse servira de nombreuses fois : il mangera tous les serpents de pharaon, il séparera la mer en deux, il fera sourdre l’eau du rocher, il rendra pure des eaux amères et imbuvables (comme celles de nos négativités). Et puis il permettra au peuple de gagner une guerre au désert, il sauvera de la mort celui qui lèvera les yeux vers lui s’il a été piqué par les serpents : comme un clocher d’église portatif, il rappelle au peuple de regarder vers le ciel. Et puis, et puis… tout ce qui n’est pas dit, et puis la valeur symbolique de chacun de ces miracles pour nous aujourd’hui.

Je viens de mentionner la valeur symbolique des eaux amères. Puisque c’est Pâques, revenons un instant devant la Mer Rouge. Admettons que la puissance qui s’exprime dans le bâton de Moïse écarte les eaux symboliques de l’inconscient pour que nous passions à pied sec. La mer submerge définitivement les mémoires oppressives de Pharaon et non pas ses soldats. Car peut-on imaginer que Dieu veuille la mort de milliers de certains de ses enfants pour en sauver d’autres ? Les soldats de Pharaon, ce sont les forces que des siècles de notre léthargie ont laissé grandir. Celles qui nous poussent à nous sentir sans amour, à avoir besoin d’alcool ou de sexe, à avoir des croyances et des principes, ce sont les forces de la haine, de la séparation et de l’oubli de l’Être. Le passage de la Mer Rouge, rouge comme le sang de la terre, c’est l’ouverture de la route vers notre Pâque. De l’autre côté de cette frontière, la liberté, la terre promise. La puissance divine est plus forte que toute autre puissance, il n’y en a pas d’autre, elle est puissance de vie pour nous faire passer les eaux intraversables. Il y a de quoi danser.

Le prêtre Aaron aussi avait un bâton à prodiges et il fut déposé dans l’arche de l’alliance après qu’il eut fleuri, fleuri comme un arbre vivant. Ici nous retrouvons le Christ, que l’Eglise a dit pendu à l’arbre de vie (la croix) comme un fruit de l’amour. Le bâton du Christ, c’est la croix capable d’accomplir la métamorphose suprême de la mort à la vie. Elle est disponible en tout temps pour ceux qui voudraient une croix semblable et intérieure. Au croisement du vertical et de l’horizontal est indiqué le lieu du passage: le coeur. La résurrection du Christ signifie aussi la résurrection de chacune de ses billiards de cellules : un feu d’articice, une fête.

Ces moments offerts à notre lecture sont profondément encourageants pour les chercheurs de Pâques. Ils nous enseignent que quand la conscience individuelle a rejoint la conscience de l’univers, celui-ci coopère. Plus rien n’est de l’ordre du miracle, tout est obéissance ou complicité. La quatrième leçon est donc celle-ci : garder la vision, abandonner ses idées personnelles et collectives sur ses limitations, lâcher son passé. En gros, comme le dit la croix, se quitter soi-même !

La leçon suivante nous est donnée par un autre élément : le feu. Quarante ans après son adoption par Jéthro, Moïse se trouvait mener les brebis de son beau-père près de la montagne de Dieu, montagne de l’Horeb. C’est que Moïse continuait à vivre en la compagnie divine. Il n’est plus question des eaux basses du fleuve mais de la pointe de Moïse, des lieux élevés de son âme d’où l’espace est vaste et l’air lumineux. Et tout en marchant avec son troupeau – ses cellules, ses émotions, ses ancêtres, ses souvenirs, bref, sa multiplicité, tout en marchant en direction de la montagne de Dieu, il aperçut ce buisson ardent qui brûlait sans se consumer. Pour le voir de près, il fit un détour. Et ce détour est la cinquième leçon.

Ce passage a été commenté des centaines de fois mais si nous gardons à l’esprit que ce qui est à l’extérieur est un miroir de ce qui est à l’intérieur et que la bible nous enseigne par symboles, nous aboutissons à deux possibilités. Ou bien il s’agit d’une vision intérieure de Dieu, comme ce que disent d’eux-mêmes les prophètes Jérémie et Ezéchiel ou Jean dans l’Apocalypse. Dans ce cas il reste une dualité entre celui qui voit et ce qui est vu. Ou bien c’est lui-même sous l’aspect de ce buisson que Moïse a rencontré. Dans ce cas il a vécu sa dernière Pâques et traversé le dernier passage qui permet de parler à Dieu “face à face”. Or c’est ce que la suite du récit ne cesse de répéter.

Cela n’empêcha pas le frère et la soeur de Moïse, Aaron et Rebecca, de récriminer contre lui auprès de Dieu. Ils se firent ainsi recadrer : “A mon serviteur Moïse je parle bouche à bouche.” Pas de cerveau, pas de pensée, pas de parole, au contraire de ce qu’ils font, mais de la sensation. Un baiser. Un baiser d’amour, un baiser de feu. La Bible raconte cela d’Hénoch amoureux de Dieu et qui marchait avec lui. Jamais on ne retrouva son corps, “car l’Éternel l’avait pris”. Pâques est une histoire d’amour. Voici l’occcasion d’une sixième leçon: cesser de privilégier comme la fatrie de Moïse le mental et le jugement. S’ouvrir à la lumière et la douceur, bouche à bouche, et se taire pour rencontrer le buisson ardent.

Dans ce silence d’amour, on apprend qui est Dieu. “Je suis celui qui Suis” . La formule est très difficile à traduire, aussi on trouve d’autres traductions : “Je Suis celui qui Est”, ou encore “Je Suis qui Je Serai”… René Guénon proposa carrément d’abandonner la formule Je Suis et de préférer “l’Être”, impersonnel : ” L’être est l’être.” En tout cas, que ressentons-nous quand nous disons “je suis”? N’est-ce pas comme “Je vis là maintenant?” ou “je me sens vivant”? La définition est celle d’un présent infiniment continué et sans aucun début puisque dans cette stabilité le temps n’a aucun pouvoir. C’est ce que Jésus a tenté d’exprimer dans cette phrase qu’on lui reprocha : “Avant qu’Abraham fût, Je Suis.” Avant que ma forme d’être humain ne vienne au monde, et après et pendant que je suis là, Je Suis. Pur Esprit, sans rien qui doive évoluer et cesser. Avant la première étoile, j’étais là, j’y serai après la dissolution du monde. “Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront pas”. Paroles, c’est-à-dire verbe, puissance de vie. Oui, Jésus Christ est. Nous aussi. Nous aussi puisque nous savons intuitivement ce que veut dire Je suis. Nous Sommes. Les bouddhistes disent de leur côté : Avant que ce qui parait n’apparaisse, et toujours, il y a la source d’énergie d’où cela jaillit. Cette présence sans temps ni forme est notre véritable nature.

Telle est la clé de la destination, la découverte de notre véritable nature, le sentiment d’être qui ne dépend ni de notre naissance, ni de notre mort, ni de notre caractère ni de rien de ce qui fait notre variété sur la terre. Simplement amour, lumière et vie. Le voyage narré dans la bible est certainement instructif, mais il n’est pas nécessaire, car Pâques est une découverte intérieure. Où irions-nous en effet puisque nous sommes déjà dans cette présence la présence même ?

Ce n’est pas ce que nous vivons? Nous croyons mourir entièrement ? Nous pleurons de solitude ? Nous ne voyons pas cette lumière qui brille sans consumer ni brûler les yeux? Les soucis des autres nous dérangent peu, les nôtres nous taraudent? Nous ne sommes pas cet immense réservoir d’amour? C’est parce que nous restons dans notre petite personne et que nous n’avons pas compris que le passage à traverser, c’est celui qui nous mène hors d’elle.

Tout ce qui arrive alors, ça nous arrive à nous, à en mourir. Observons nos guides de Pâques. Ils ne sont pas dérangés par leur personnalité. Ils ne sont pas “quelqu’un”. Moïse, selon Dieu, “est l’homme le plus humble que la terre ait porté.” En écho, Jésus dit : “Je suis doux et humble de cœur”. Par delà des siècles et des distances, Dudjom rimpoché le Tibétain accorde à l’égo l’importance d’une crotte de chien. Dans l’humilité, le moi a disparu et ils ne sont pas morts. Au contraire, ils constatent comme le Christ : “Mon père et moi nous sommes Un.” Et la résurrection est la manifestation de cette unité proposée à tous. Ainsi arrivons-nous à la neuvième leçon qui est aussi la première. Puisque tout est un, tout l’univers, il n’y a qu’une chose à faire, diminuer l’importance de notre égo, ce numéro 2 devant Dieu, jusqu’à sa totale tranquillisation au sein du tout.

Car c’est lui, le numéro 2, qui nous transforme en meurtriers. “Pardonne-leur, dit à son Père le Christ sur la croix, ils ne savent pas ce qu’ils font.” Ignorance fondamentale, disent les bouddhistes, sur laquelle se tisse tout le malheur de nos existences.

Mais l’éveil auquel Pâques nous invite est une traversée intérieure vers la libération, un passage à pied sec vers une terre unifiée où coulent le lait et le miel (blanc et or comme les énergies divines, sagesse et amour de la source). Dans ce pays, nous nous trouvons ramenés de l’avoir à l’Être, du mortel au sans temps, de la multiplicité des formes à la perception de l’unique battement de la Vie, à nouveau reliés à notre origine. La terre de notre corps est irriguée par la conscience universelle et cela change son ADN. Les évangiles appellent cela ressusciter.

Moïse et Jésus racontent par leur vie que cela peut arriver à l’heure de la mort, mais aussi avant. En descendant de sa montagne, Moïse doit couvrir d’un voile son visage éblouissant et Jésus se montre entièrement transfiguré à quelques disciples. La matière sans lumière a épousé la lumière et s’est remplie d’elle. Jésus le dit à Nicodème: “En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d’eau et d’Esprit (c’est-à-dire de feu) il ne peut entrer dans le royaume de Dieu. Ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit… Il faut que vous naissiez de nouveau. ” Lorsque le feu de l’esprit descend, l’humain vit sa Pâque. Mais cela n’est pas une leçon. C’est un cadeau. Un cadeau que le ciel empressé donnera à notre terre dès que nous serons en état de le recevoir, si nous avons assez confiance en lui.